Le boeuf musqué, la bernache nonette, le renard polaire ou encore le lièvre arctique ont un point commun : ils peuvent participer à la dispersion des plantes et au maintien de la richesse des communautés végétales par leur alimentation.
- Famille de boeufs musqués dans la toundra, Alaska
- Source : Elizabeth Labunski, USFWS External Affairs
La dispersion des graines est un processus important pour la propagation et la persistance des populations vĂ©gĂ©tales. Elles peuvent ĂŞtre ingĂ©rĂ©es par les mammifères et les oiseaux, intentionnellement ou accidentellement, et transportĂ©es Ă des distances plus ou moins grandes, avant qu’elles ne soient rejetĂ©es. On les qualifie alors d’endozoochores, c’est-Ă -dire dispersĂ©es par les animaux (zoochorie) après leur passage dans l’appareil digestif, oĂą les sucs ramollissent leurs coques dures.
L’efficacitĂ© de la dispersion dĂ©pend de la survie de la graine, de la durĂ©e du transit digestif et du dĂ©placement de l’animal. Leur "largage" peut contribuer Ă augmenter localement le phĂ©nomène de pluie de graines ("seed rain"), et potentiellement Ă©lever la richesse du milieu si de nouvelles espèces vĂ©gĂ©tales sont apportĂ©es par les animaux.
L’objectif de l’Ă©tude menĂ©e par des chercheurs scandinaves est d’estimer la proportion de ce type de graines endozoochores dans la vĂ©gĂ©tation afin de prĂ©ciser ces interactions entre animaux et vĂ©gĂ©taux. Pour cela, un Ă©cosystème prĂ©servĂ© de la toundra du haut Arctique, pour lequel il n’existe aucune donnĂ©e quantitative de graines zoochores, a Ă©tĂ© pris en exemple. Reste Ă savoir si les vertĂ©brĂ©s de cette rĂ©gion contribuent significativement Ă la richesse spĂ©cifique [1] de la flore.
L’Ă©tude se situe dans la rĂ©gion libre de glace du Zackenberg, dans le Parc national du nord-est du Groenland. La vĂ©gĂ©tation y est dominĂ©e par des graminĂ©es et des arbrisseaux nains, tels que le saule arctique, la dryade Ă huit pĂ©tales, ou la myrtille des marais.
En analysant les graines viables retrouvĂ©es dans les dĂ©jections des animaux, les scientifiques constatent qu’un grand nombre de propagules [2] se retrouvent dans les matières fĂ©cales des boeufs musquĂ©s et des bernaches nonettes. Alors que ces petites oies sont connues pour ĂŞtre plutĂ´t des vecteurs de plantes aquatiques, de nouvelles espèces vĂ©gĂ©tales telles la festuque alpine (Festuca brachyphylla) et la renouĂ©e vivipare (Polygonum viviparum) sont apportĂ©es par ces oiseaux. Les boeufs, au transit digestif lent, introduisent localement de nouvelles plantes comme la renoncule pygmĂ©e. La part du lièvre arctique est moins importante dans la propagation des graines car leur temps de transit digestif plus long rĂ©duit les chances de survie de ces dernières. On retrouve peu de propagules chez le renard polaire, ponctuellement frugivore, en raison de la pĂ©riode d’Ă©tude situĂ©e avant la saison de fructification et d’un rĂ©gime alimentaire plutĂ´t marin Ă cette pĂ©riode de l’annĂ©e.
RegroupĂ©s, ces rĂ©sultats indiquent que la potentialitĂ© d’ĂŞtre un bon vecteur dĂ©pend plus du comportement alimentaire et des caractĂ©ristiques digestives de l’animal que de sa taille. En dĂ©pit des disparitĂ©s dans le nombre de graines transportĂ©es par les diffĂ©rents vertĂ©brĂ©s, l’endozoochorie constitue un mode de propagation et de dispersion essentiel des graines sur de grandes distances. Les animaux endozoochores, semeurs involontaires d’espèces vĂ©gĂ©tales de la toundra, forment ainsi une catĂ©gorie de "jardiniers" d’une grande importance Ă l’échelle du paysage.
Or, le rĂ©chauffement global peut repousser l’aire de rĂ©partition de certaines espèces animales et vĂ©gĂ©tales plus au nord. En rĂ©pondant au changement climatique, les animaux de l’Arctique participent eux aussi Ă la "migration" des vĂ©gĂ©taux vers de plus hautes latitudes et Ă la modification en cours des paysages.