Les sous-marins qui croisent dans les eaux polaires de l’océan Arctique sont équipés de sonars, instruments indispensables pour se déplacer en toute sécurité sous la banquise sans risquer une collision avec celle-ci. Mais ces sonars ont une autre utilité : combinés à des capteurs de pression, ils permettent de mesurer le tirant d’eau de la glace de mer (hauteur immergée) et donc de calculer l’épaisseur de la banquise. Une information primordiale pour tout scientifique préoccupé par la santé des glaces polaires, dont ont tiré profit des chercheurs américains.

Promenade sur la banquise le long des côtes de l’Alaska : pour combien de temps encore ?
Crédit photo : toddraden
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Les données déclassifiées des opérations sous-marines de l’US Navy, qui se sont déroulées dans l’océan glacial de 1958 jusqu’en l’an 2000, leur ont procuré plus de quarante ans de relevés du tirant d’eau de la banquise, sur un secteur couvrant un peu plus du tiers de l’océan Arctique. Un secteur géographique certes restreint à la partie centrale et à la bande longeant les côtes de l’Alaska ^[1]Les zones économiques exclusives des autres états côtiers de la région leur étant interdites., mais qui permet aux scientifiques de compléter les données récentes d’altimétrie laser du satellite ICESat de la NASA (voir encadré) et d’obtenir ainsi une cartographie de l’évolution de l’épaisseur de la banquise sur cinq décennies.

Les dimensions de la banquise varient dans l’espace et dans le temps. D’étendue et d’épaisseur minimales à la fin de l’été, les glaces qui subsistent d’une année à l’autre (glaces pluriannuelles) occupent principalement la zone centrale de l’océan glacial, en étant particulièrement concentrées dans les eaux bordant les rivages septentrionaux de l’archipel canadien et du Groenland. En plein cœur de l’hiver, les glaces nouvellement formées (glaces jeunes) s’étendent vers la partie orientale jusqu’à recouvrir la presque totalité du bassin océanique, tandis que les glaces pérennes s’épaississent jusqu’à atteindre cinq à six mètres par endroits. Tel était, jusqu’à récemment du moins, le cycle annuel de la glace de mer dans cette région du globe.

De fait, ces dernières années ont été marquées par une réduction massive de l’étendue de la banquise pérenne estivale, donnant lieu, depuis l’été 2007, à plusieurs périodes d’ouverture inattendue du passage du Nord-Ouest à la navigation ^[2]Voir à ce sujet la brève « Arctique : avec ou sans glace ? La fonte de la banquise s’accélère… »..

Qu’en est-il de l’épaisseur ? Les données fournies par le satellite ICESat depuis son lancement en 2003 mettent en évidence un amincissement important de la banquise de l’ensemble du bassin arctique dans les années 2000 et particulièrement depuis 2007. Les données sonar des sous-marins révèlent que ce processus avait déjà commencé à la fin des années cinquante avec une ampleur insoupçonnée jusqu’alors.

Carte topographique et bathymétrique de l’Arctique
Crédit : Hugo Ahlenius, UNEP/GRID-Arendal
Source: UNEG/GRID-Arendal

L’amenuisement de la banquise a en effet été considérable au cours des années soixante et soixante-dix, en particulier dans les parties centrales et orientales de l’Arctique où les glaces ont perdu près de la moitié de leur épaisseur ! Ralentie vers la fin des années quatre-vingt dix, cette diminution s’accélère à nouveau dans les années deux mille, sans toutefois que la vitesse de disparition des glaces ne rattrape celle atteinte au début des mesures. A l’échelle de l’océan, les chercheurs ont calculé qu’entre 1980 et 2008, la banquise d’hiver est passée d’une épaisseur de 3,64 à 1,89 m, soit près de 50% de son épaisseur. Au cours de la même période, la banquise estivale a perdu, quant à elle, 1,65 m, soit presque 60%!

Plus inquiétant encore : ce sont les zones de banquise ancienne qui sont les plus touchées. La disparition des glaces pluriannuelles n’est plus compensée par l’ajout de glaces jeunes ayant résisté à la fonte d’été. Un phénomène en marche dès les années soixante mais qui s’est fortement accru récemment. Désormais la glace saisonnière surpasse la glace ancienne, recouvrant en hiver une superficie supérieure à cette dernière et se substituant à elle dans la partie centrale de l’océan Arctique!

Si cette modification du cycle annuel de la banquise préoccupe les scientifiques, elle pourrait cependant réjouir les porteurs de projets d’exploitation des richesses pétrolières et gazières du fond océanique, devenu ainsi plus accessible.