Sismicité et surveillance de la région arctique : l’apport du réseau « Arkhangelsk »
Du fait de l’impact du changement climatique qui affecte tout particulièrement la région, d’intérêts économiques de plus en plus affirmés envers des réserves potentiellement importantes sur le plan minéral et énergétique, de la tendance au développement industriel des territoires du Nord et d’une volonté des pays limitrophes de justifier de leurs frontières territoriales respectives (au sein de la zone circumpolaire), la région arctique suscite depuis peu un regain d’attention que l’on comprend aisément. Dans ce contexte et au même titre que la mise en oeuvre d’autres techniques d’exploration géophysique, on conçoit qu’elle puisse ainsi faire l’objet d’une surveillance accrue en termes d’activité sismique qui, jusqu’à présent, avait été relativement délaissée. Les stations sismiques destinées aux zones arctique et sub-arctique semblaient de fait en nombre trop restreint pour permettre une étude suffisamment fine des structures sismiquement actives de ces régions. Pour exemple, du fait d’une connaissance plus que parcellaire de l’activité sismique du bassin Eurasien[1] L’un des deux principaux bassins océaniques constitutifs de l’océan glacial Arctique (le second étant le bassin Amérasien dont il est séparé par la dorsale de Lomonosov), que l’on peut considérer comme étant une extension septentrionale du bassin de l’Atlantique Nord, par-delà le détroit de Frame et de ses marges, l’existence de zones encore inconnues où l’activité allait pourtant s’intensifiant ne fut que très récemment démontrée dans ce secteur, en particulier dans la région des îles de Nouvelle-Sibérie.
Les observations depuis le nord de la Russie paraissaient donc insuffisantes comparées à celles enregistrées par les réseaux sismiques d’autres nationalités. Alors que notamment une douzaine de stations étaient opérationnelles dans les pays scandinaves, il n’y en avait guère plus de cinq ou six pour couvrir le vaste territoire allant de la péninsule de Kola à la Tchoukotka. Ainsi, dans les années 1990, les études sismologiques de la partie arctique de la Russie sont plutôt discontinues. Elles le seront moins par la suite du fait d’observations complémentaires rendues possibles grâce au déploiement du réseau du Service Géophysique de l’Académie des Sciences de Russie (GS RAS pour Geophysical Service of the Russian Academy of Sciences), implanté en Russie européenne, à l’instar d’autres réseaux locaux tels celui dont il est question ici.
Le réseau sismique Arkhangelsk, du nom de la première station qui fut installée en 2002 à proximité de la localité éponyme, située sur les rivages de la mer Blanche, dans le nord de la Russie, est opérationnel depuis une dizaine d’années. Il fut cependant mis en place de façon progressive, le nombre de stations le composant étant actuellement de onze, sachant que la toute dernière station créée occupe une position très septentrionale, aux environs de 81° de latitude nord, c’est à dire bien au-delà du cercle polaire. Elle fut en effet aménagée sur l’île Alexandra de l’archipel (ou Terre) François-Joseph, situé au nord de la Nouvelle-Zemble. Les dix autres stations ont toutes été implantées dans l’oblast (région) d’Arkhangelsk. Les données, dont la transmission depuis les différentes stations s’effectue via internet, sont centralisées et traitées au niveau de la station d’observations sismologiques située à proximité d’Arkhangelsk afin d’être intégrées au catalogue répertoriant l’ensemble des évènements observés. La localisation de ces séismes est obtenue en combinant les données en provenance des stations du réseau mais il peut également être fait appel aux données de stations appartenant à d’autres réseaux couvrant la région, tels celui du GS RAS ou le réseau norvégien de surveillance sismique NORSAR (pour NORwegian Seismic ARray[2] Le réseau NORSAR est rattaché à une fondation de recherche indépendante créée en 1968, dont le but était initialement de participer à la surveillance des essais nucléaires, intervenant aujourd’hui encore dans le cadre du traité de non-prolifération des armes nucléaires. Cet organisme est par ailleurs spécialisé dans la production de logiciels de traitement des données sismiques, ayant de fait des applications tant en sismologie qu’en sismique appliquée, pour la prospection pétrolière en particulier).
Le réseau Arkhangelsk participe ainsi prioritairement à la surveillance des séismes se produisant en Arctique et cette contribution a pu être évaluée au moyen d’une analyse et d’une comparaison de son catalogue avec ceux d’autres réseaux du type NORSAR ou GS RAS, afin de déterminer s’il existe un bon recouvrement entre eux ou si cette comparaison met au contraire en évidence l’existence de « zones d’ombre » (zones où l’un ou l’autre réseau n’aurait pas détecté certains séismes, en l’occurrence lorsque ceux-ci sont de faible intensité). Les auteurs ont ainsi établi son seuil de magnitude de façon à visualiser ses performances d’un point de vue détection sismique selon les différents secteurs de la région arctique. Cette analyse a en outre permis de confirmer et/ou d’affiner la cartographie des zones sismiquement actives préalablement observées, telles les limites de plaques tectoniques notamment, a fortiori lorsqu’elles sont soulignées par des dorsales océaniques.
Plus de 900 évènements sismiques dont les épicentres étaient situés au-delà de 60° nord furent ainsi détectés sur une période comprise entre 2003 et 2010. Parmi ceux-ci, de l’ordre de 500 étaient effectivement des secousses naturelles, les 45 % restants correspondant à des tirs de mines lors de l’exploitation à ciel ouvert de gisements localisés principalement en Carélie, dans la péninsule de Kola ou diverses contrées scandinaves. L’essentiel des séismes « véritables » était relié à la « ceinture sismique médio-Arctique » qui jalonne les bordures en expansion des plaques eurasienne et nord-américaine, trace de la dorsale océanique qui depuis l’Islande parcourt le bassin Eurasien jusqu’à la mer de Laptev[3] Dorsale océanique constituée d’une succession de segments qui, s’échelonnant de l’Islande à la partie centrale-nord de l’Eurasie, sont dénommés dorsale Kolbeinsey (située immédiatement au nord de l’Islande), dorsale Mohns puis dorsale Knipovich (en mer du Groenland) et enfin dorsale de Gakkel (qui sillonne le bassin Eurasien du Svalbard à la mer de Laptev). Cependant, ils mirent également en évidence une accentuation de l’activité au niveau des pays scandinaves (explosions minières y compris), ainsi que dans la région du Spitzberg (archipel du Svalbard).
Concernant la station la plus septentrionale de l’île Alexandra, bien que celle-ci ait enregistré mensuellement de l’ordre d’une cinquantaine d’évènements dont les distances épicentrales étaient généralement comprises entre 300 km et 700 km (séismes survenant au niveau du Svalbard ou de la dorsale de Gakkel), elle a également montré l’existence de secousses se produisant à des distances beaucoup plus rapprochées (comprises entre 15 km et 30 km), dont les épicentres se situaient en mer ou sur terre (au niveau de l’île elle-même). C’est la prise en compte de la cartographie des glaces environnantes qui permit d’estimer qu’elles étaient directement liées au fluage de ces dernières, conduisant à un type d’enregistrement particulier, différent de ceux des tremblements de terre, phénomène qui par le passé avait déjà été mentionné à l’occasion de relevés d’autres stations nordiques.
Les auteurs ont ainsi pu établir que le réseau Arkhangelsk présentait une bonne sensibilité quant à l’enregistrement sismique inter- et intra-plaque de la région arctique. Le niveau atteint du point de vue des magnitudes démontre qu’il est en effet parfaitement habilité à jouer un rôle dans les études sismologiques et la surveillance de ce territoire. De par sa localisation géographique et ses performances, il est en particulier susceptible d’apporter des compléments d’information concernant des évènements enregistrés par ailleurs, au niveau d’autres services sismologiques tels NORSAR ou le GS RAS. Sa contribution paraît d’autant plus intéressante qu’en réponse à la mise en service récente de la station de l’archipel François-Joseph, il est dorénavant capable de détecter des séismes qui pourront manquer au catalogue d’autres institutions connues et réputées.
Peut-être (sans doute) faut-il y voir un moyen d’intensifier la surveillance de ces contrées arctiques vouées à tant de convoitises…
Notes de bas de page
↑1 | L’un des deux principaux bassins océaniques constitutifs de l’océan glacial Arctique (le second étant le bassin Amérasien dont il est séparé par la dorsale de Lomonosov), que l’on peut considérer comme étant une extension septentrionale du bassin de l’Atlantique Nord, par-delà le détroit de Frame |
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↑2 | Le réseau NORSAR est rattaché à une fondation de recherche indépendante créée en 1968, dont le but était initialement de participer à la surveillance des essais nucléaires, intervenant aujourd’hui encore dans le cadre du traité de non-prolifération des armes nucléaires. Cet organisme est par ailleurs spécialisé dans la production de logiciels de traitement des données sismiques, ayant de fait des applications tant en sismologie qu’en sismique appliquée, pour la prospection pétrolière en particulier |
↑3 | Dorsale océanique constituée d’une succession de segments qui, s’échelonnant de l’Islande à la partie centrale-nord de l’Eurasie, sont dénommés dorsale Kolbeinsey (située immédiatement au nord de l’Islande), dorsale Mohns puis dorsale Knipovich (en mer du Groenland) et enfin dorsale de Gakkel (qui sillonne le bassin Eurasien du Svalbard à la mer de Laptev) |