Amour libre chez les renards polaires
A l’exemple de nombreux canidés, les renards polaires (Alopex lagopus) sont considérés comme monogames. Un seul couple, dit dominant, se reproduit. Les autres membres du groupe (petits de l’année précédente ou apparentés) n’ayant que des rôles d’assistance pour élever les petits et chasser. Les observations montrent que les structures sociales sont très variables chez cette espèce et parfois complexes. Dans les îles, l’espace plus restreint, l’isolement géographique et l’abondance de nourriture amènent les couples à se regrouper pour former des colonies. On y observe des relations sociales plus compliquées que sur le continent, qui peuvent aboutir à la polygynie (un mâle s’accouple avec plusieurs femelles). Les études de terrain démontrent que cette complexité augmente avec le degré d’isolement de la population.
Mais les observations du comportement ne suffisent pas pour déterminer avec précision s’il existe un ou plusieurs couples reproducteurs monogames ou s’il y a polygamie. La présence de petits de différentes tailles dans une même tanière suggère que plusieurs femelles sont reproductrices [1]Si des petits nés la même année mais de tailles différentes cohabitent cela signifie que, soit la même femelle a eu deux portées, soit deux femelles ont mis bas à des dates différentes. (voir encadré ci-dessous). Parfois plusieurs femelles partagent la même tanière et certaines allaitent sans avoir eu de petit.
Toutes ces constatations ne permettent pas de conclure avec certitude sur les types de relations de reproduction dans les populations des îles. Pour clarifier ces relations, des chercheurs canadiens ont décidé d’analyser l’ADN des animaux. De même que des recherches de paternité sont faites chez les humains grâce à l’analyse de l’ADN, la même technique peut être utilisée pour déterminer les relations de filiation dans un groupe social de mammifères sauvages.
La population étudiée vit sur l’île de Bylot, dans le territoire arctique canadien du Nunavut, reliée en hiver au continent par la banquise. Elle n’est donc pas totalement isolée mais sa structure sociale est aussi complexe que celle des vraies îles.
Les scientifiques ont comparé l’ADN des poils de la fourrure d’été de 6 adultes (2 femelles et 4 mâles) et de 42 jeunes, répartis dans 8 tanières (les couples occupent couramment plusieurs tanières). Les analyses moléculaires montrent que dans 6 des 8 tanières les petits sont issus d’un seul couple. Dans la septième tanière, un mâle est identifié comme le père de 2 des 6 petits présents. Ici l’hypothèse d’échanges de partenaires entre deux couples est la plus probable. Dans la dernière tanière, une femelle est identifiée comme la mère de 9 petits. L’étude du degré de parenté entre ces jeunes permet de considérer comme hypothèse la plus probable, l’accouplement d’une femelle avec plus d’un mâle (polyandrie avec paternité multiple dans la même portée). Ce cas constitue la première preuve génétique de polyandrie chez le renard polaire.
De plus, la productivité de la population (taux de natalité) est étroitement reliée à la richesse en ressources alimentaires. L’étude en question se situe dans une zone proche de nombreuses aires de nidification d’oiseaux et de lemmings, proies favorites des renards. Cette abondance de nourriture, combinée à l’isolement de la population, explique aussi probablement une plus grande fréquence de polyandrie.
La paternité multiple procurerait ainsi un avantage adaptatif supplémentaire à des populations isolées grâce à une diversité génétique accrue. Ceci constitue un atout face aux changements environnementaux dus au réchauffement climatique, dont les conséquences se font déjà sentir sur des populations animales dans le Grand Nord.
Une renarde polaire peut avoir jusqu’à deux portées par an. L’accouplement a lieu en mars ou en avril, la gestation dure de 51 à 57 jours. Les portées comprennent de 2 à 11 petits. La femelle met au monde ses petits entre mai et juin. Le père et la mère s’occupent des petits à tour de rôle. Aux environs d’une semaine, ils peuvent suivre leurs parents partout. A six semaines ils n’ont plus besoin d’être allaités. Vers septembre, à douze semaines, les renardeaux sont autonomes pour chasser. Les tanières peuvent abriter des petits de l’année précédente. Ils aident leur mère à élever les derniers nés. A maturité sexuelle, à l’âge de 10 mois, les jeunes mâles quittent leur famille natale tandis que les jeunes femelles peuvent rester avec leur mère. |
Notes de bas de page
↑1 | Si des petits nés la même année mais de tailles différentes cohabitent cela signifie que, soit la même femelle a eu deux portées, soit deux femelles ont mis bas à des dates différentes. |
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