Constructions sociales d’un événement climatique « sévère » au Nunavut
Les auteurs, membres du département d’anthropologie de l’Université Western, Ontario, ont analysé les réactions locales à un « évènement climatique » considéré par les autorités comme « sévère » [1]« severe weather event »: évènement climatique violent, extrême, désastreux.. Cet évènement s’est produit à Pangnirtung, dans l’île de Baffin (Nunavut, Canada arctique), du 8 au 9 juin 2008.
D’importantes chutes de pluie, accompagnées de températures chaudes et d’une fonte rapide des neiges des montagnes environnantes, avaient alors fait déborder la Duval River, inondant les terres, causant des dommages structurels importants au pont reliant l’île à la terre, ainsi qu’une importante érosion de la couche de permafrost (ou pergélisol ) le long de la rivière.
Dans les jours et mois qui avaient suivi la tempête, les médias régionaux et nationaux avaient largement rendu compte de ces évènements, dans des termes qui en ont dramatisé l’intensité et la signification (comme par exemple cet article de presse numérique : « Pangnirtung deviendra-t-elle l’une des premières communautés à devenir inhabitable à cause du changement climatique?« ). La population locale y était présentée comme étant dans un état de détresse et de souffrance indicibles.
Or, interrogés un an plus tard par les chercheurs, les résidents de l’île, Inuits comme non-Inuits, se sont tous accordés, exceptés les trois responsables de l’administration locale, à considérer que les chutes de pluie n’avaient été qu’une autre tempête, une de plus, « rien de vraiment neuf », et que l’effondrement du pont n’avait pas constitué un évènement si dramatique que cela : tout était « resté sous contrôle ».
Avant tout, les autochtones ne partageaient pas avec l’administration locale la définition de ce qu’était une conséquence « sévère », avec par conséquent une perception différente de la vulnérabilité de leur communauté. Ils se sentaient beaucoup plus menacés par les vents violents, qui occasionnaient régulièrement des dommages importants, que par des pluies continues ayant entraîné un débordement de la rivière.
En effet, l’impact matériel désastreux de ces vents les ayant familiarisés avec les dommages causés aux infrastructures, les autochtones étaient amenés à relativiser les conséquences de l’effondrement du pont. Au contraire, les représentants de l’administration, Inuits également, étaient d’abord préoccupés par leurs responsabilités en termes de sécurité collective, et étaient donc plus portés à adopter un point de vue gestionnaire.
D’autre part, la confiance placée en eux par les résidents a sans doute joué un rôle décisif dans la manière dont ces derniers ont interprété les évènements : « le pont s’est effondré ? Ce n’est pas bien grave, l’administration locale est là… »
Par contre, ils ont exprimé leur préoccupation pour l’érosion continue de la couche de permafrost depuis ces chutes de pluie, car ils avaient peu d’expérience de cas où les conditions climatiques entraînaient des changements permanents du paysage. A leurs yeux, la nouveauté de la situation comportait une menace pesant sur la survie même de la communauté, dans la mesure où le permafrost constitue leur principal réservoir d’eau potable.
Cette étude semble donc renforcer l’idée que la vulnérabilité est quelque chose de culturellement défini : ce qu’un groupe interprète comme un évènement climatique « sévère » ne l’est pas forcément pour un autre.
Les études sur ce sujet, avant de chercher à déterminer les facteurs susceptibles d’amplifier ou d’atténuer les perceptions par un groupe de sa vulnérabilité aux aléas climatiques, devraient de ce fait commencer par se demander comment les membres de ce groupe comprennent, interprètent et définissent le concept même de « conditions climatiques sévères » [2]Severe weather.. Ces études gagneraient ainsi à compléter les critères habituellement utilisés pour l’évaluation de la vulnérabilité par des indicateurs locaux, spécifiques au contexte.
Plus largement, ces résultats peuvent se révéler utiles aux organisations, telles ArcticNet, souhaitant apporter leur assistance aux efforts d’adaptation en Arctique : l’acquisition et l’incorporation aux stratégies d’adaptation des perspectives locales, considérées comme « connaissance d’expert », sont des conditions nécessaires au succès de ces entreprises.