Recherches Arctiques

Actualités de la recherche scientifique
ISSN : 2755-3755

Contrecarrer les infections sexuellement transmissibles chez les Inuits

L’expansion de l’infection bactérienne génitale à Chlamydia au pôle Nord est bien supérieure à celle constatée en Amérique du Nord et en Europe.

Depuis dix ans, la prévalence [1]Terme d’épidémiologie qui signifie le nombre de cas d’une maladie, ou de tout autre problème de santé, dans une population définie à un moment donné. des infections sexuellement transmissibles (IST) augmente de façon inquiétante dans le monde et en particulier dans l’Arctique canadien. On est passé en 10 ans de 51 à 278 cas pour 100~000 habitants. Les spécialistes craignent que la résurgence de ces maladies sexuellement transmissibles (MST) ne soit la preuve d’une augmentation des prises de risques pour d’autres infections, telles que le VIH/sida.

La chlamydiose à Chlamydia trachomatis, infection qui entraîne peu ou pas de symptômes, met en jeu l’avenir obstétrical des femmes. Une de ses manifestations est la salpingite (infection/inflammation des trompes de Fallope). Elle peut conduire à une stérilité dite « tubaire ». Des grossesses extra-utérines ou des douleurs pelviennes chroniques peuvent en être la conséquence. Mieux suivies médicalement que les hommes par des visites chez le gynécologue ou l’obstétricien, les femmes courent cependant le risque d’être « recontaminées » à tout moment par un partenaire sans symptômes.

Femme inuite prenant un bain de soleil à Iqaluit

Femme inuite prenant un bain de soleil à Iqaluit
Photo: John Hasyn
Certains droits réservés – Licence Creative Commons

Afin d’évaluer l’intérêt de procéder au dépistage universel mais aussi d’estimer la prévalence réelle des IST, on fit appel à des volontaires dans la région de Baffin au Canada (ou Qikiqtaaluk), province du Nunavut [2]Nunavut signifie « Notre terre » dans la langue des Inuits. C’est la plus jeune et la plus vaste province du Canada. C’est sur l’île de Baffin qu’on trouve sa capitale, gros centre d’activité de l’arctique Est : Iqaluit.

Cent sujets furent choisis de manière aléatoire, afin de déceler la survenue de maladies sexuellement transmissibles : blennorragie (gonococcie à Neisseria gonorrhoeae) ou chlamydiose. Leur participation d’août 2003 à juin 2004 fut rétribuée et des préservatifs leur furent gracieusement remis. Si l’examen clinique ne consistait qu’à recueillir un peu d’urine tous les deux mois, un interrogatoire précis permettait de collecter les données sociodémographiques, d’entendre les parcours sexuels, notamment le nombre de partenaires et le niveau d’ « instruction en santé » [3]L’instruction en santé représente les aptitudes cognitives et sociales qui déterminent la motivation et la capacité des individus à accéder, comprendre et utiliser l’information de façon à promouvoir ou maintenir une bonne santé, voir le Glossaire européen de santé publique sur le site BDSP. . Des séances personnalisées d’éducation sanitaire et sexuelle étaient alors dispensées.

Il faut se souvenir qu’avant 1996, seul un frottis, avec introduction d’un écouvillon dans l’urètre ou le vagin permettait le recueil de la bactérie. Aujourd’hui, les nouvelles méthodes diagnostiques qui utilisent la biologie moléculaire [4]Par exemple, on utilise ici la réaction en chaîne par polymérase – ou amplification en chaîne par polymérase – ou bien encore Polymerase Chain Reaction (PCR) en anglais, qui permet de copier en très grand nombre les séquences d’ADN bactériens que l’on recherche à partir de la très faible quantité présente dans le premier jet d’urine émis. permettent de déceler avec une bonne sensibilité le matériel génétique de nature infectieux.

Les cas positifs de chlamydiose ou de gonococcie étaient comptés, avec traitement immédiat et suivi des partenaires sexuels (sujets dits « contacts »). L’objectif secondaire : enrayer la progression de ces maladies dans une population se réinfestant par relations sexuelles. Parce qu’on a vu apparaître 14 cas de chlamydiose (21 avaient été détectés avant l’étude), le niveau de prévalence a été estimé à 11,6 %. Aucun cas de gonococcie ne fut à déplorer.

Il faut garder à l’esprit que beaucoup de membres de cette communauté reculée sont en déplacement professionnel durant la période estivale : chasse, pêche et campements secondaires, entraînement avec les Rangers [5]Depuis plus d’un demi-siècle, les Rangers canadiens ont une composante autochtone qui les assiste dans leurs manœuvres en zone polaire., travail saisonnier. Ils profitent de l’été pour voyager, pour des raisons commerciales ou personnelles, par la terre, l’air ou la mer, chez des voisins distants parfois de mille kilomètres ! Ce paramètre éloignant les hommes, les femmes furent naturellement les plus représentées dans cette étude qui demandait une présence physique.

On interrogea les patientes infectées au sujet du préservatif. Les trois barrières principales à son utilisation étaient : la crainte d’agresser le partenaire, la peur de laisser entendre que l’autre avait une IST et la difficulté à planifier son port…

Les auteurs concluent que pour réduire cette expansion inquiétante, la décision de procéder à un dépistage généralisé s’impose, avec traitement adéquat immédiat des cas positifs et traçage des contacts sexuels.

 


 

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Terme d’épidémiologie qui signifie le nombre de cas d’une maladie, ou de tout autre problème de santé, dans une population définie à un moment donné.
2 Nunavut signifie « Notre terre » dans la langue des Inuits. C’est la plus jeune et la plus vaste province du Canada. C’est sur l’île de Baffin qu’on trouve sa capitale, gros centre d’activité de l’arctique Est : Iqaluit.
3 L’instruction en santé représente les aptitudes cognitives et sociales qui déterminent la motivation et la capacité des individus à accéder, comprendre et utiliser l’information de façon à promouvoir ou maintenir une bonne santé, voir le Glossaire européen de santé publique sur le site BDSP.
4 Par exemple, on utilise ici la réaction en chaîne par polymérase – ou amplification en chaîne par polymérase – ou bien encore Polymerase Chain Reaction (PCR) en anglais, qui permet de copier en très grand nombre les séquences d’ADN bactériens que l’on recherche à partir de la très faible quantité présente dans le premier jet d’urine émis.
5 Depuis plus d’un demi-siècle, les Rangers canadiens ont une composante autochtone qui les assiste dans leurs manœuvres en zone polaire.
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