Des significations du don chez les Sames
Les Sames, comme beaucoup de peuples autochtones, ont dû affronter des politiques assimilationnistes qui ont porté atteinte à leur culture et les ont placés dans la position de l’Autre. La plupart sont cependant tout autant originaires du pays que le reste des Norvégiens. Ils font partie de la nation mais avec une différence qu’il leur faut négocier. Cette négociation, comme l’indique Britt Kramvig dans un article d’un numéro d’Ethnologie française consacré entièrement à la Norvège, s »effectue notamment à travers « le langage silencieux du don ».
Certes, le discours identitaire et la construction culturelle de l’autochtonie se sont dans un premier temps appuyés, pour les modifier, sur les représentations de cette vision de l’Autre, fondée sur les pratiques pastorales nomades telles que l’élevage de rennes. Ces symboles qui rappellent la tradition et la vie d’antan en terre sápmi (le pays des Sames) ont toutefois limité les définitions de l’identité pour les cantonner à des stéréotypes plus ou moins heureux. Sédentarisés, les Sames côtiers ne se reconnaissent pas forcément dans cette vision et ne sont d’ailleurs pas considérés comme autochtones par leurs voisins norvégiens, bien qu’ils parlent une langue différente, conservent des liens de parenté et sont pour ainsi dire de culture samie.
D’autres éléments entrent donc en jeu et prennent une importance particulière pour révéler l’identité culturelle et maintenir sa cohérence dans un contexte multiethnique. La pratique du don en est un. Il forme une sorte d’institution de la vie quotidienne et s’exerce à diverses occasions lors d’échanges et de rencontres, y compris avec les non-Sames ou les touristes toujours très surpris par cette pratique. Plus ou moins ritualisé, il permet ainsi à la population same de créer une cohésion à l’intérieur du groupe et vis-à-vis de l’extérieur. Peu habituel en effet dans un monde globalisé où triomphent le consumérisme et l’intérêt matériel, l’acte du don définit une identité sociale et individuelle à celui qui donne. Cette distinction de générosité gratuite si l’on peut dire puisqu’elle n’implique par forcément une action en retour ou un contre-don, établit alors une limite entre soi et les autres. On se valorise en donnant. La pratique du don préserve ainsi une autonomie en montrant une certaine idée de la communauté. En d’autres termes, cette pratique constitue un acte de résistance culturelle et rend la communauté visible tant aux yeux des autres que pour elle-même. Elle offre, face à un monde changeant, une stratégie alternative qui s’oppose aux valeurs du monde actuel. Toutefois, comme on peut l’observer, il n’y a dans cet acte de résistance, aucune forme de repli identitaire mais au contraire une forme de reconnaissance d’autrui et d’une dépendance à son égard, en même temps qu’il est l’occasion d’affirmer sa propre indépendance. Si le fait de donner révèle une résistance à l’assimilation, il crée en même temps un lien et une reconnaissance mutuelle avec les non-autochtones.
On comprend mieux désormais pourquoi étudier les pratiques du don pourrait mettre en évidence ces ressources culturelles qui, dans les communautés de l’Arctique, tendent à conserver les valeurs d’un certain lien social ainsi que le fait d’être soi par-delà les divisions ethniques et l’assimilation à un monde globalisé.