Recherches Arctiques

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ISSN : 2755-3755

Du mercure dans le cerveau des ours polaires de l’Arctique canadien

Publié le 20.08.2012
Les ours blancs accumulent beaucoup moins de mercure dans leur cerveau que dans leur foie.

Le mercure est un polluant neurotoxique que l’on rencontre à de fortes concentrations dans l’écosystème arctique. Il y est apporté par voie atmosphérique. Les êtres vivants sont exposés au mercure essentiellement via l’alimentation où il se trouve sous la forme organique de méthylmercure (MeHg), plus bio-assimilable que le mercure minéral. Il s’accumule et se bio-amplifie[1]La bioamplification est le phénomène par lequel un contaminant présent dans un biotope connaît un accroissement de sa concentration au fur et à mesure qu’il circule vers les maillons supérieurs d’un réseau trophique. (D’après le Dictionnaire encyclopédique de l’écologie de F. Ramade). dans la chaîne alimentaire. Du fait de sa place au sommet de cette chaîne, l’ours polaire (Ursus maritimus) accumule des quantités plus importantes de mercure. Le cerveau est la cible privilégiée du MeHg, on n’y trouve pas de mercure (Hg) à l’état d’élément. Cependant peu d’études concernent la concentration de ce polluant dans les tissus du cerveau de cet animal, probablement du fait de la difficulté à obtenir des échantillons de tissu cérébral.

Pour pallier ce manque de données, une équipe de chercheurs canadiens a entrepris de mesurer la concentration de ce polluant dans le cerveau des ours polaires du Nunavik, territoire de l’est de l’Arctique canadien. Ils ont mesuré les taux des différentes formes de mercure dans le lobe frontal, le cervelet et le tronc cérébral de vingt ours. Les têtes, conservées au froid, provenaient de spécimens tués entre 2000 et 2003 par les chasseurs Inuits de la région, qui pratiquent une chasse traditionnelle de subsistance. Les chasseurs, de par leur grande expérience de cet animal, ont fourni également aux chercheurs des informations fiables concernant l’âge des individus tués. Cette donnée est importante car l’accumulation des polluants augmente avec l’âge de l’animal.

Ours polaires sur la banquise du Svalbard avec des restes de phoque

Ours polaires sur la banquise du Svalbard avec des restes de phoque
Crédit photo : Peter Prokosch
Source : UNEP/GRID-Arendal

Les résultats des analyses montrent que le méthylmercure est présent dans les trois parties du cerveau tandis que le mercure minéral et l’éthylmercure n’ont pas été détectés. Les concentrations de MeHg sont plus fortes dans le lobe frontal puis décroissent du cervelet au tronc cérébral. Comparé à d’autres mammifères marins prédateurs, l’ours blanc présente des taux de mercure total (toutes formes confondues) parmi les plus faibles.

Des comparaisons entre organes montrent que le mercure se concentre plus dans le foie que dans le cerveau. On le retrouve aussi dans les muscles, les poils et les reins. Des mesures sur les mammifères marins avaient déjà mis en évidence un ratio foie/cerveau très élevé suggérant que ces animaux sont capables de limiter la neurotoxicité du mercure en séquestrant la plus grande part de ce polluant dans le foie. Bien que les ours blancs se nourrissent principalement de la graisse de phoque, tissu concentrant les polluants, ils parviennent à maintenir un faible taux de mercure dans leur cerveau. Le mécanisme physiologique n’est pas encore élucidé. Des hypothèses sont avancées : une barrière hémato-encéphalique moins perméable et d’autre part la liaison du MeHg avec des composés contenant des thiols[2]Thiol : composé organo-sulfuré, connu pour sa très grande affinité chimique (capacité de liaison) avec les composés contenant du mercure, permettant ainsi de capturer ce polluant et de l’évacuer de l’organisme..

Dans l’étude, 100% du mercure mesuré dans les cerveaux des ours est sous forme de méthylmercure et les analyses ne montrent aucun signe de déméthylation, phénomène se produisant habituellement dans le cerveau des mammifères. Cette réaction qui génère une forme insoluble de mercure est considérée comme un mécanisme de détoxification. Cependant, dans le cas du cerveau, elle ne serait pas un avantage car l’excrétion du MeHg est plus facile que celle du Hg minéral et la neurotoxicité de ce dernier s’avère supérieure à celle du méthylmercure. La diminution de la déméthylation dans le système nerveux central des ours pourrait donc être un mécanisme réduisant la toxicité du mercure dans leur cerveau.

D’autre part, les faibles taux de mercure mesurés pourraient aussi s’expliquer par l’âge des ours étudiés, ceux-ci étant relativement jeunes (entre 2 et 9 ans) si l’on considère la longévité maximale qui est de 30 ans.

La cinétique et la répartition du mercure dans le corps des ours polaires ne sont pas encore bien connues et devront faire l’objet de recherches complémentaires, afin de mieux comprendre l’impact de ce polluant sur la santé des populations d’ours blancs du Canada. Les ours polaires pourraient en effet subir une exposition croissante au mercure, en raison de la raréfaction des proies liée au changement climatique qui risque de modifier leur régime alimentaire. De plus, l’ours blanc est une espèce sentinelle [3]Espèce sentinelle ou sentinelle écologique : espèce dont les perturbations physiologiques dues aux changements de l’environnement servent d’indicateurs précoces de la dégradation d’un écosystème donné. importante pour l’évaluation de la santé de l’écosystème arctique.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 La bioamplification est le phénomène par lequel un contaminant présent dans un biotope connaît un accroissement de sa concentration au fur et à mesure qu’il circule vers les maillons supérieurs d’un réseau trophique. (D’après le Dictionnaire encyclopédique de l’écologie de F. Ramade).
2 Thiol : composé organo-sulfuré, connu pour sa très grande affinité chimique (capacité de liaison) avec les composés contenant du mercure, permettant ainsi de capturer ce polluant et de l’évacuer de l’organisme.
3 Espèce sentinelle ou sentinelle écologique : espèce dont les perturbations physiologiques dues aux changements de l’environnement servent d’indicateurs précoces de la dégradation d’un écosystème donné.
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