Etude des relations entre séismes et vêlage d’icebergs au Groenland
Chaque année, au Groenland, un peu moins de la moitié de la perte de masse totale de glace intervient lors du vêlage d’icebergs sur le front de grands glaciers qui sont les prolongements ultimes de l’inlandsis. Depuis quelques années, la dynamique de ces glaciers a rapidement évolué, ainsi le taux de vêlage a particulièrement augmenté, mais de façon beaucoup plus étonnante, la fréquence des séismes est elle aussi en forte hausse, certains atteignant une magnitude de cinq sur l’échelle de Richter [1]Lien Wikipédia sur Magnitude d’un séisme
. . Une équipe de recherche internationale a mené une étude afin d’en savoir plus. La zone étudiée concernait le glacier Helheim, l’un des principaux exutoires de l’inlandsis groenlandais, situé non loin de la ville de Tasiilaq. Ce glacier a été observé durant une période de 55 jours, de juillet à septembre 2013. C’est l’un des plus grands glaciers de la partie sud-est du Groenland, mesurant plus de 200 kilomètres de long sur 6 kilomètres de large, son écoulement pouvant atteindre jusqu’à 30 mètres par jour.
Un réseau de capteurs GPS [2]Lien Wikipédia sur Global Positioning System
. a été utilisé très près du front de vêlage afin de mesurer les mouvements du glacier avec un niveau de précision de l’ordre du centimètre. Deux caméras ont été installées dans le fjord à quatre kilomètres en aval afin d’obtenir une géométrie en trois dimensions du front de vêlage, ainsi que des icebergs qui en résultent. Des données issues du réseau sismographique mondial [3]Lien sur Global Seismographic Network
. ont été analysées afin d’identifier les séismes qui se sont produits dans la même zone et durant la même période. A l’aide des caméras, les chercheurs ont ainsi pu observer un retrait du glacier de 1,5 kilomètre lors d’une succession de vêlages dont dix furent particulièrement importants, en ayant tous coïncidé avec des séismes. Lors des secousses sismiques, il a été constaté que la zone du glacier près du front de vêlage s’était déplacée en sens inverse de son écoulement naturel et non plus vers le fjord, et ce, durant plusieurs minutes. Au cours de l’un de ces épisodes, les scientifiques ont pu observer la disparition d’une surface de glace représentant de l’ordre de 0,46 km2 pour une hauteur de 790 m, produisant durant le vêlage un volume d’iceberg de 0,36 km3.
Les données observées sur le terrain ont été comparées avec celles obtenues à l’aide de simulations en laboratoire, ce qui a permis de mieux appréhender le phénomène. Ainsi, il a pu être constaté que lors du vêlage et de la formation d’un gros iceberg, celui-ci se détachait et basculait vers la mer, puis il entamait un mouvement de rotation, la partie immergée de l’iceberg venant buter contre le front du glacier en le comprimant, ce qui avait pour conséquence d’inverser momentanément le sens d’écoulement de celui-ci et d’initier un mouvement vers le bas durant plusieurs minutes. Ce sont les mouvements violents et soudains du glacier ainsi que ses sursauts qui provoquent ce que les chercheurs nomment dorénavant des « séismes glaciaires » [4]Lien Agence Science-Presse sur séisme glaciaire
. au sein même de la glace. La genèse de ce type de séismes est bien différente de celle des autres séismes, d’origine tectonique. A la différence des séismes classiques qui peuvent ne persister que quelques secondes, les séismes glaciaires se manifestent plutôt sur une durée de l’ordre de la minute. Les chercheurs précisent que ces séismes glaciaires ne peuvent se produire que lorsqu’un énorme bloc de glace se détache du glacier, le poids de la glace pouvant atteindre la gigatonne (109 tonnes), soit un milliard de tonnes. Pour marquer les esprits, ils évoquent l’image d’un parallélépipède de glace dont la plus grande face aurait la superficie de Central Park à New York (soit une surface de l’ordre de 3,4 km2 ; environ 4 kilomètres de longueur sur 800 mètres de largeur) et la hauteur de l’Empire State Building (381 mètres).
Ces grands glaciers contribuent à déverser d’importants volumes d’eau douce dans l’océan Arctique (trois grands glaciers dont celui de Helheim drainent à eux seuls 16 % de l’inlandsis groenlandais) et la tendance semble être à la hausse. En effet, les scientifiques ont pu observer qu’en 2002, le glacier Helheim pouvait avancer vers la mer à raison de six kilomètres par an. En 2005 sa vitesse pouvait atteindre 11 kilomètres par an, le réchauffement climatique anthropique pouvant en être l’une des causes principales.
L’inlandsis groenlandais reste un important contributeur vis à vis de l’élévation mondiale du niveau des océans puisque presque la moitié de la perte annuelle de glace de l’inlandsis intervient lors du vêlage d’icebergs. Les « séismes glaciaires » ont été multipliés par sept au cours des deux dernières décennies et leur survenue semble se déplacer vers le nord, ce qui suggère une augmentation du taux de perte de masse de l’inlandsis par vêlage principalement due au réchauffement global. La compréhension du comportement de ce type de glacier ainsi que des séismes qui lui sont associés est une étape cruciale afin d’appréhender au mieux le phénomène de vêlage et l’élévation du niveau des océans qui en découle.
Notes de bas de page
↑1 | Lien Wikipédia sur Magnitude d’un séisme . |
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↑2 | Lien Wikipédia sur Global Positioning System . |
↑3 | Lien sur Global Seismographic Network . |
↑4 | Lien Agence Science-Presse sur séisme glaciaire . |