L’air que l’on respire à l’intérieur des bâtiments est-il plus sain au nord du cercle polaire boréal ?
Des scientifiques norvégiens, associés à des confrères italiens, ont évalué au cours de l’automne 2013 le niveau de pollution intérieure en différents lieux de la ville norvégienne de Tromsø, deuxième plus grande zone urbaine de l’Arctique – après la cité russe de Mourmansk –, située à plus de 300 km au nord du cercle polaire boréal.
Dans les sociétés modernes, les populations passent plus de 90% de leur temps dans des environnements clos. La nécessité d’une atmosphère non polluée se révèle donc impérieuse. La qualité de l’air intérieur influence en effet notre bien-être, et même notre santé. L’OMS (Organisation mondiale de la Santé) a calculé que la pollution de l’air intérieur avait été responsable en 2000 de plus de 1,5 million de morts et de 2,7% de la charge globale de morbidité [1]La charge de morbidité quantifie la mortalité ou la morbidité due à une pathologie donnée ou à un facteur de risque., tandis que l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques) évalue à 2,2 millions le nombre de personnes décédées chaque année prématurément. En outre, une étude récente a montré que la qualité de l’air intérieur dans les bureaux était cruciale pour la productivité des employés.
Selon des observations antérieures, les conditions climatiques d’une zone géographique et le mode de vie de ses habitants sont deux paramètres déterminants susceptibles d’affecter la qualité de l’air intérieur. Ainsi, si dans les pays du sud de l’Europe, les conditions de températures favorables autorisent les individus à vivre fenêtres ouvertes, assurant par conséquent un renouvellement suffisant de l’air, dans les pays d’Europe du Nord en revanche, l’exigence d’une efficacité énergétique élevée des bâtiments se traduit par des environnements intérieurs bien isolés mais dès lors peu ventilés et donc confinés. Pour les populations de l’Arctique, soumises aux longs et rudes hivers polaires et limitées, du fait des conditions extrêmes propres à ces latitudes, à des activités majoritairement intra-muros, le risque d’être exposé à de forts taux de polluants, en particulier ceux émis à l’intérieur des constructions, serait donc potentiellement plus élevé que pour les populations d’autres régions du monde, selon l’hypothèse avancée par les chercheurs (voir encadré).
Afin d’établir un premier diagnostic du niveau de contamination de l’air intérieur en Arctique, les chercheurs ont choisi Tromsø comme lieu d’étude. Considérée comme la capitale de l’Arctique, Tromsø abrite le plus grand nombre de vieilles maisons en bois du Nord de la Norvège (la plus ancienne d’entre elles datant de 1789). Or, le bois est un facteur de risque supplémentaire car il représente une source possible de polluants (voir encadré).
Les polluants ciblés dans cette étude sont les aérosols – particules en suspension dans l’air – et les composés organiques volatils, notamment les terpènes, les BTEX [2]BTEX : sigle qui regroupe quatre hydrocarbures aromatiques monocycliques, à savoir le benzène et trois composés au noyau benzénique que sont le toluène, l’éthylbenzène et le xylène. et les méthylsiloxanes volatils. Toxiques et cancérigènes pour certains d’entre eux, précurseurs de polluants secondaires pour d’autres, les composés organiques volatils sont des contaminants atmosphériques habituels des environnements intérieurs. L’appellation « composés organiques volatils » regroupe une large gamme de composés chimiques d’origine naturelle ou anthropique, ces derniers étant émis lors de l’utilisation de quantité de produits domestiques (produits d’entretien, articles d’hygiène corporelle, matériaux de construction ou d’ameublement, équipements domestiques ou professionnels comme les imprimantes, etc.), par la combustion de bougies, d’encens ou de tabac, par des solvants industriels ou bien encore par les hydrocarbures au travers notamment des gaz d’échappement…
A Tromsø, ces deux types de polluants ont été mesurés dans divers espaces professionnels et différentes pièces d’habitation, ainsi qu’à l’intérieur d’une voiture stationnant dans un garage, moteur tournant. Contrairement à ce qui était attendu, la qualité de l’air intérieur se révèle globalement bonne pour ce qui est des composés organiques volatils, comparée à celle observée en d’autres lieux géographiques. Les concentrations en composés organiques volatils sont plus élevées dans les environnements domestiques (la somme totale étant comprise entre 106 et 584~µg.m-3, ce qui correspond à un niveau de qualité jugé de très bon à satisfaisant, selon les recommandations en la matière) par rapport aux divers environnements professionnels échantillonnés, les terpènes (en particulier le limonène) étant la classe de composés la plus abondante. Certains composés organiques volatils, tels que le naphtalène par exemple, sont détectés systématiquement. Quant aux aérosols, les niveaux sont en revanche conséquents, aussi bien pour les particules fines que grosses, et dépassent même parfois les normes proposées par les réglementations et recommandations existantes. L’exposition aux aérosols est plus importante sur les différents lieux de travail étudiés, à l’exception toutefois des bureaux, que dans les maisons.
Si cette étude a permis de dresser un premier bilan de l’état de la pollution intérieure en Arctique et de révéler un certain nombre de sources de pollution, elle nécessiterait d’être poursuivie et élargie à d’autres types de polluants ou à d’autres types d’investigation, telles que des recherches épidémiologiques visant à établir le lien entre qualité de l’air intérieur et certaines maladies majeures.
Notes de bas de page
↑1 | La charge de morbidité quantifie la mortalité ou la morbidité due à une pathologie donnée ou à un facteur de risque. |
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↑2 | BTEX : sigle qui regroupe quatre hydrocarbures aromatiques monocycliques, à savoir le benzène et trois composés au noyau benzénique que sont le toluène, l’éthylbenzène et le xylène. |