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ISSN : 2755-3755

Les preuves d’un passé lointain émergent d’une plaque de glace en Norvège à la faveur du réchauffement climatique

Publié le 25.11.2021
Le réchauffement climatique mondial peut parfois entrainer des conséquences insoupçonnées : ces dernières décennies, à la faveur de la fonte et du retrait des glaces, les traces d'un monde révolu peuvent resurgir.

Une équipe internationale constituée de chercheurs majoritairement norvégiens a étudié l’évolution de la plaque de glace de Langfonne du massif du Jotunheimen, situé dans le comté d’Innlandet, au sud-ouest de la Norvège. La fonte généralisée des glaces a permis l’émergence d’une nouvelle discipline scientifique qui est l’archéologie glaciaire. Elle consiste en l’étude des vestiges archéologiques libérés par la fonte des glaciers et des plaques de glace. Les chercheurs précisent que la distinction entre glaciers et plaques de glace peut être problématique. En effet, des plaques de glace peuvent évoluer en glaciers durant des périodes froides où leur taille va s’accroître et vice versa. A priori, les plaques de glace seraient des zones plutôt stables, sans déplacement apparent mais qui parfois pourraient néanmoins présenter des déformations internes, sans commune mesure avec les glaciers qui eux sont en perpétuel mouvement et de ce fait ont une proportion de glace qui disparait régulièrement alors qu’une autre se renouvelle. Les conséquences sur les objets archéologiques emprisonnés dans ces deux formations glaciaires sont très différentes :  dans le cas d’un glacier, les scientifiques estiment que la conservation des objets n’excéderait pas 500 ans, ils seraient inexorablement broyés et détruits par ce « rouleau compresseur » naturel, alors que dans une plaque de glace, la préservation pourrait atteindre plusieurs milliers d’années dans les cas les plus favorables.

La plaque de glace de Langfonne en septembre 2014

La plaque de glace de Langfonne en septembre 2014

Crédit photo : Lars Pilø

Certains droits réservés : Secrets of the Ice

C’est dans ce contexte que l’équipe de recherche a examiné avec attention la plaque de Langfonne qui se situe dans une zone montagneuse où le sol reste gelé en permanence (pergélisol[1]pergélisol), son altitude étant proche de 2 000 mètres. Une station météorologique aux alentours relève une température moyenne annuelle de – 4,6 °C,  les températures moyennes n’étant positives que durant les mois de juin, juillet et août. La végétation à proximité est constituée uniquement de mousses, de lichens, d’herbes et de fleurs. Au cours du « Petit âge glaciaire  [2]Lien wikipédia sur Petit âge glaciaire» la surface de la plaque de glace a été estimée à 2,5 km2, basée sur la lichénométrie [3]Lien wikipédia sur lichénométrie combinée avec des orthophotographies [4]Lien wikipédia sur orthophotographie. À l’heure actuelle, sa superficie serait d’environ 250 000 m2 (0,25 km2), soit dix fois moins, répartie en trois plaques distinctes suite à l’important épisode de fonte de 2014 qui a fractionné la plaque d’origine. L’une de ces plaques a été étudiée à l’aide d’un radar à pénétration de sol. [5]Lien wikipédia sur radar à pénétration de sol Son épaisseur maximale a été estimée à 14 m en 2017. L’épaisseur moyenne de la glace dans la partie la plus profonde de Langfonne a été évaluée à environ 20 m au cours des dernières décennies. La plaque de Langfonne suscita l’intérêt des scientifiques lorsqu’en 2006 on y découvrit un objet archéologique, constitué d’un soulier en cuir remarquablement conservé, tout d’abord attribué à l’ère Viking [6]Lien Wikipédia sur Vikings. Sa datation par le radiocarbone [7]Lien wikipédia sur datation par le radiocarbone a stupéfié les scientifiques car elle lui assignait un âge d’environ – 3 300 ans (avant le présent), correspondant à la période du bronze ancien [8]Lien wikipédia sur bronze ancien. Depuis, plusieurs campagnes de fouilles se sont déroulées ; c’est même l’intégralité du site qui a été examinée en 2014 et 2016, permettant des découvertes archéologiques et paléozoologiques d’importance. Des flèches découvertes ont été datées par radiocarbone, elles ont des âges compris entre – 6 180 ans et – 680 ans environ et peuvent se présenter sous la forme de flèches complètes, de pointes ou de hampes isolées.

Renne (Rangifer tarandus)

Renne (Rangifer tarandus)

Crédit photo : Per Harald Olsen

Certains droits réservés : Licence Creative Commons

Les chercheurs signalent que Langfonne est le seul site de Norvège constitué de glace où l’on ait trouvé jusqu’à présent des objets plus anciens que – 5 500 ans. Des os et des ramures de rennes [9]Lien wikipédia sur renne (Rangifer tarandus) ont aussi été rencontrés ; le renne constituerait 97 % des objets paléozoologiques, leurs datations seraient comprises entre – 4 800 ans et l’époque actuelle, mais seules deux ramures présentent des traces anthropiques avérées. Il est à noter que de nombreux « bâtons d’effarouchement » ont été trouvés, ils ont été datés entre – 1 700 ans et – 1 000 ans environ. Ces bâtons auxquels était attaché un morceau d’étoffe ou de bois servaient à canaliser les rennes vers des passages prédéfinis pour en faciliter leur chasse : en effet, les bâtons disposés à une faible distance les uns des autres pouvaient représenter des obstacles infranchissables aux yeux de ces animaux de nature craintive, ce sentiment étant certainement exacerbé par le stress de la traque. Des restes de skis ont été datés de – 300 ans environ, ils constitueraient les objets les plus récents découverts sur le site. Les scientifiques suggèrent que tous ces objets auraient pu être perdus sur ou non loin de la plaque de glace lors des chasses aux rennes au cours des temps préhistoriques et historiques. Ces chasses auraient pu se produire lors des jours chauds et cléments des mois de juillet et août, lorsqu’un grand nombre de rennes se rassemblaient régulièrement sur la neige et la glace pour se rafraichir. Ce comportement a été observé très couramment de nos jours dans ces contrées, y compris sur la plaque de Langfonne par les chercheurs eux-mêmes lorsqu’ils effectuaient leur prospection archéologique. Les scientifiques se sont penchés sur l’épineux problème du déplacement éventuel des objets trouvés à Langfonne : ces derniers sont-ils à leur emplacement d’origine ou bien ont-ils pu migrer in situ à cause de la déformation de la glace ou à cause de l’eau de fonte, du vent, des animaux ou des hommes eux-mêmes ? L’eau de fonte semble avoir joué un rôle important, pour preuve, lors d’un épisode de fonte de forte intensité en septembre 2014, l’un des scientifiques a pu observer le déplacement d’une flèche sur l’une des trois plaques, elle a été entrainée jusqu’au pied de la plaque de glace. Ce phénomène naturel est semble-t-il assez courant et pourrait expliquer toutes les découvertes qui ont été faites tout au long des limites des plaques de glace. Il peut jouer le rôle d’un procédé naturel de concentration des objets, facilitant leur découverte. Cela implique par conséquent qu’ils ne sont pas retrouvés à l’endroit même où ils ont été perdus, ce qui est dommageable pour l’interprétation archéologique. Les pointes de flèches en pierre ou en fer présentent un plus grand poids que la hampe en bois, elles auront moins tendance à glisser sur la pente. Au soleil, elles vont avoir tendance à faire fondre la glace sur laquelle elles reposent et à s’enfoncer légèrement, ce qui pourra entrainer conjointement avec d’autres processus naturels, la désolidarisation de la pointe et de la hampe, cette dernière pouvant alors être transportée seule plus facilement jusqu’au bas de la pente. C’est ce qui pourrait peut-être expliquer le nombre plus important de hampes découvertes en bas des pentes par rapport au nombre de flèches complètes.

Pointe de flèche de de Langfonne datée de - 1 300 ans encore fixée à sa hampe, des restes de tendon ayant servi de ligature sont encore visibles

Pointe de flèche de Langfonne datée de – 1 300 ans encore fixée à sa hampe, des restes de tendon ayant servi de ligature sont encore visibles

Crédit photo : Lars Pilø

Certains droits réservés : Secrets of the Ice

Les chercheurs ont constaté que les flèches datées de – 6 200 ans à – 5 700 ans sont moins bien conservées que celles datées de – 4 350 ans à – 3 700 ans : ces dernières présentent la proportion la plus importante de flèches complètes (hampe et tête de flèche) par rapport à toutes celles examinées, notamment les flèches plus récentes comme celles datées de – 3 700 ans à – 2 000 ans et celles de – 2 000 ans à – 680 ans. Les scientifiques pensent que la localisation et les circonstances du dépôt sont plus déterminants que l’âge absolu pour définir l’état de conservation des objets archéologiques retrouvés sur et autour de la plaque de Langfonne. Il a aussi été constaté que la grande majorité des flèches date de – 1 410 ans à – 790 ans (deux ramures de rennes de cette période ont été découvertes avec des traces de découpe), avec un pic qui se situe à – 1 200 ans, juste avant l’ère Viking : cette surabondance de flèches pourrait correspondre à une période intense de chasse de ces animaux. Une étude génétique sur des ramures de rennes a montré une baisse dramatique de leurs populations au cours de la période de – 950 ans à – 750 ans pour laquelle on observe aussi un nombre important de flèches à Langfonne. L’hypothèse d’une très forte prédation humaine semble crédible.

Les objets archéologiques issus de la plaque de Langfonne, constitués essentiellement de flèches (complètes ou non), datées pour les plus anciennes de plus de 6 000 ans, ainsi que de « bâtons d’effarouchement » évoquent des scènes de chasse aux rennes attestées par quelques restes osseux, se déroulant, pour la plupart, avant l’ère Viking. De futures découvertes viendront peut-être compléter ce puzzle car elles sont facilitées par le réchauffement climatique qui semble désormais inexorable. Malgré la disparition annoncée de la plaque de Langfonne, de précieux trésors archéologiques pourraient encore voir le jour.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 pergélisol
2 Lien wikipédia sur Petit âge glaciaire
3 Lien wikipédia sur lichénométrie
4 Lien wikipédia sur orthophotographie
5 Lien wikipédia sur radar à pénétration de sol
6 Lien Wikipédia sur Vikings
7 Lien wikipédia sur datation par le radiocarbone
8 Lien wikipédia sur bronze ancien
9 Lien wikipédia sur renne
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