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ISSN : 2755-3755

Les révélations du séquençage du génome d’un « homme moderne » de 45 000 ans

Publié le 10.12.2014
Un ossement découvert en Sibérie occidentale a permis l’étude et le séquençage du plus ancien génome complet d’homme moderne étudié à ce jour. Il a pu être établi que cet homme a hérité dans son génome d'une petite partie de celui de l’homme de Néandertal, ce qui contribue à considérer une phylogénie humaine plus complexe qu'il n'y paraît.

Tout commence en 2008, par la découverte rocambolesque d’un fémur gauche humain par un chasseur de fossiles à la recherche de restes et d’ivoire de mammouths. C’est en prospectant les berges de la rivière Irtysh, située dans la partie occidentale de la Sibérie, plus précisément dans le district d’Ust’-Ishim de l’oblast d’Omsk, en Russie, que l’homme prélève cet os très inhabituel et bien différent des restes de mammouths recherchés. Très intrigué, il prévient la police locale qui déterminera qu’il s’agit d’un fémur d’Homo sapiens [1]Lien Wikipédia sur Homo sapiens
 
, communément appelé « homme moderne » puisque l’homme actuel fait lui aussi partie de cette espèce d’Hominidae [2]Lien Wikipédia sur Hominidae
. L’hypothèse d’un récent homicide est rapidement écartée car la datation du fémur attribue un âge d’environ 45 000 ans (Pléistocène supérieur). S’il y a eu homicide, le ou les meurtriers n’auraient de toute façon jamais été identifiés. La police est donc logiquement dessaisie du dossier et laisse la place à d’autres protagonistes plus scientifiques cette fois puisqu’une équipe de chercheurs internationaux prend le relais sur cette affaire qui va se révéler aussi passionnante qu’une véritable enquête policière. En effet, la qualité de préservation de cet os et de son ADN, protégés pendant des millénaires dans le pergélisol, va permettre le séquençage du génome du plus ancien Homo sapiens étudié à ce jour. La morphologie du fémur atteste qu’il s’agit d’un homme moderne (Homo sapiens) et pas de son cousin, l’homme de Néandertal (Homo neanderthalensis) [3]Lien Wikipédia sur Homo neanderthalensis
, les deux espèces étaient contemporaines à l’époque.

Crâne de l’homme de Cro-Magnon (Homo sapiens) daté de 30 000 ans environ

Crâne de l’homme de Cro-Magnon (Homo sapiens) daté de 30 000 ans environ
Crédit photo : Wikipedia
Certains droits réservés : Licence Creative Commons-CC BY 2.5

L’étude des isotopes du carbone et de l’azote contenus dans l’os de l’individu d’Ust’-Ishim (en référence au lieu de sa découverte) indique que ce dernier se nourrissait de plantes et d’animaux terrestres mais qu’une part importante des protéines de son alimentation pouvait aussi provenir de la consommation régulière de poissons d’eau douce. Le séquençage de son génome a pu révéler qu’il s’agissait d’un individu masculin puisqu’un chromosome Y a pu être individualisé. En tenant compte de la diversité génétique des populations, les chercheurs ont établi que la population dont serait issu l’homme d’Ust’-Ishim serait beaucoup plus proche des Eurasiens actuels que des Africains actuels.

La communauté scientifique admet qu’à un moment donné il y a eu métissage entre les populations d’Homo sapiens (homme moderne) non-africaines et celles d’Homo neanderthalensis (homme de Néandertal) puisque les deux populations étaient contemporaines et fréquentaient les mêmes territoires, à savoir l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie occidentale. Elles auraient cohabité durant 10 000 à 50 000 ans selon la zone géographique considérée, alors qu’a contrario les populations africaines d’Homo sapiens n’ont pas pu se mélanger avec Néandertal car leurs territoires géographiques respectifs étaient trop éloignés.
Le séquençage a permis de déterminer que l’homme d’Ust’-Ishim a pu intégrer environ 2,3 % du patrimoine génétique de l’homme de Néandertal, proportion très proche de celle des populations humaines actuelles qui vivent dans la partie orientale de l’Asie où le taux serait compris entre 1,7 et 2,1 %; alors que pour les Européens actuels, il serait compris entre 1,6 et 1,8 %.

Comparaison entre les squelettes de l'homme moderne (à droite) et de l'homme de Néandertal (à gauche)

Comparaison entre les squelettes de l’homme moderne (à droite) et de l’homme de Néandertal (à gauche)
Crédit photo: Ian Tattersall, Futura-Sciences
Certains droits réservés

Le séquençage a ainsi montré que le mélange des deux populations homme moderne et homme de Néandertal avait déjà commencé il y a 45 000 ans. Il apparaît aussi que les segments d’ADN d’origine néandertalienne présents dans le génome de l’homme d’Ust’-Ishim sont plus longs que les segments retrouvés dans la population actuelle non-africaine. Chronologiquement, le métissage est bien évidemment plus proche d’il y a 45 000 ans que d’aujourd’hui. Par conséquent, l’ADN de l’homme d’Ust’-Ishim aurait subi moins de fragmentations et de recombinaisons que celui de l’homme actuel qui présente ainsi des segments d’ADN néandertaliens hérités plus courts. Les chercheurs ont estimé que l’enrichissement génétique provoqué par le croisement avec les Néandertaliens a pu se produire entre environ 232 et 430 générations avant l’apparition de l’homme d’Ust’-Ishim (en considérant qu’à l’époque une génération avait une durée moyenne de 29 ans). Le mélange de la population des ancêtres de l’individu d’Ust’-Ishim avec les Néandertaliens serait intervenu aux alentours d’il y a 50 000 à 60 000 ans, ce qui est très proche chronologiquement de l’expansion majeure de l’homme moderne hors d’Afrique et du Moyen-Orient, lui ayant permis de rencontrer Néandertal.

Cette découverte confirme que les populations d’Homo sapiens non-africaines se sont bien métissées avec des populations néandertaliennes. Le fait que bon nombre d’hommes actuels (non Africains) possèdent jusqu’à 2 % du génome de l’homme de Néandertal peut nous interpeller sur la complexité de la phylogénie [4]Lien Wikipédia sur Phylogénie
humaine. De prochaines études seront certainement centrées sur les particularités de ces 2 % d’origine néandertalienne et comment elles s’expriment en nous. Ce pourcentage peut paraître faible, mais si l’on considère que la différence génétique entre l’homme moderne et les chimpanzés/bonobos actuels n’est que de 1,3 %, il est sans doute justifié de ne pas le sous-estimer. Longtemps dénigré en raison de son aspect physique singulier, l’homme de Néandertal a su néanmoins imprimer sa marque au plus profond de notre génome, une revanche posthume en somme.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Lien Wikipédia sur Homo sapiens
 
2 Lien Wikipédia sur Hominidae
3 Lien Wikipédia sur Homo neanderthalensis
4 Lien Wikipédia sur Phylogénie
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