Recherches Arctiques

Actualités de la recherche scientifique
ISSN : 2755-3755

Maladies infectieuses sous haute surveillance en Arctique

Les conditions environnementales si particulières qui règnent dans les régions arctiques et subarctiques favorisent la propagation de certaines maladies infectieuses au sein des populations locales. Un réseau international de surveillance circumpolaire a été mis en place dans le but de collecter, de comparer et de partager les données épidémiologiques sur celles-ci. Ainsi, des stratégies de santé publique pourront être étayées afin de mieux les prévenir et les contrôler.

Les populations des régions circumpolaires

Les régions surveillées par le réseau (International Circumpolar Surveillance ou ICS) s’étendent au nord du soixantième parallèle. Elles sont bordées par l’Océan Arctique. Huit nations sont concernées : Etats-Unis (Alaska), Canada, Groenland, Islande, Norvège, Finlande, Suède, Russie.

Répartition de la population dans l'Arctique circumpolaire par pays

Répartition de la population dans l’Arctique circumpolaire par pays (populations autochtones en jaune)
Source : Hugo Ahlenius – UNEP/GRID-Arendal

Environ 4 millions d’habitants y vivent. La répartition entre autochtones (ou « natifs ») et européens est très inégale selon les pays. Disséminés par ethnies autour de l’océan Arctique, les autochtones compteraient aujourd’hui entre 150~000 et 200~000 représentants, essentiellement au Groenland, en Alaska, et au Canada. On les retrouve aussi en Scandinavie et en Sibérie où ils sont fortement minoritaires. C’est une population qui a un taux de croissance élevé. A titre d’exemple, lors du dernier recensement de 2006 au Canada, 50~485 personnes ont déclaré être inuites, ce qui traduit une augmentation de 26 % par rapport aux 40 220 dénombrés en 1996.

Inuits du Canada et du Groenland, Yupits, Inupiats et Aléoutes d’Alaska, Saamis du nord de la Scandinavie, Nénètses, Evènes, Yakoutes et Tchouktches du nord sibérien, constituent autant d’ethnies (une cinquantaine) différenciées par leur langue d’origine mais présentant des similitudes marquées notamment socioculturelles et religieuses.

Tous ne sont pas « logés à la même enseigne » : l’igloo, les huttes semi-enterrées et les tentes recouvertes de peaux d’animaux ne sont pratiquement plus utilisés. La plupart des logements sont maintenant construits en dur. Cependant, si certaines familles se retrouvent dans de pimpantes maisons en bois joliment colorées, d’autres se voient installées dans des bâtiments préfabriqués se détériorant rapidement.

Garage dans la ville de Barrow, Alaska, où 60% des 5000 habitants sont d'origine inuite

Garage dans la ville de Barrow, Alaska, où 60% des 5000 habitants sont d’origine inuite
Crédit photo ulalume
Certains droits réservés : Licence Creative Commons

Le froid qui règne dans ces régions, en favorisant le rassemblement des individus à l’intérieur des habitations souvent exigües, joue un rôle important dans la transmission des infections. Les mauvaises conditions d’hygiène sont amplifiées par la promiscuité, le tabagisme et aussi par des systèmes de ventilation souvent inadaptés. Au Canada, lors du recensement de 2006, trois Inuits sur dix vivaient dans des logements surpeuplés.

Dans les petites communautés pauvres, éloignées et mal desservies, l’accès aux soins est souvent marginal voire inexistant. Par ailleurs, la rusticité et la vétusté des installations de distribution d’eau potable et d’assainissement des eaux usées peuvent faciliter la survenue d’épidémies digestives. Ces particularités, associées à d’autres facteurs, font que dans ces régions l’espérance de vie est plus courte que dans les contrées situées plus au sud [1]Voir le dossier en ligne sur ce site : 231. .

Les maladies surveillées par le réseau

La priorité initiale de l’ICS a été de s’intéresser aux maladies bactériennes provoquées par Streptococcus pneumoniae, Haemophilus influenzae, et Neisseria meningitidis, microorganismes responsables de graves maladies respiratoires (pneumonies) et de méningites.

A titre d’exemple, une surveillance épidémiologique en Alaska a montré que les natifs présentaient le taux le plus élevé au monde de maladies invasives à pneumocoques (62 cas pour 100~000 habitants), soit un taux quatre fois plus élevé que chez les non-natifs (16 cas pour 100~000) ; toujours en Alaska, parmi les enfants de moins de deux ans, ce taux était de 450 pour 100~000 chez les natifs et de 126 pour 100~000 chez les non-natifs. Le réseau surveille également la présence d’autres maladies transmissibles telles que l’hépatite B, la tuberculose, le SIDA… Un autre sujet préoccupant est l’émergence de bactéries résistantes aux antibiotiques.

Le réseau international de surveillance circumpolaire

Une famille tchouktche, Est de la Sibérie

Une famille tchouktche, Est de la Sibérie
Photo : Kentish Plover
Certains droits réservés : Licence Creative Commons

Le projet de l’ICS a été lancé en 1998 par les Etats-Unis (Alaska) et le Nord canadien. Il regroupe des centres hospitaliers, des agences de santé publique et des laboratoires de références. Par la suite, de 2000 à 2003, le réseau de l’ICS s’est étendu au Groenland, à l’Islande, à la Norvège, à la Finlande et à la Suède.

La Russie, dont la partie septentrionale représente pourtant la moitié de ces contrées, en est jusqu’à présent exclue, son système de santé spécifique et la barrière de la langue la faisant évoluer à part. Cependant, dans les années 1990, une augmentation du nombre de cas de maladies transmissibles comme le SIDA et la tuberculose y a été constatée. A cette occasion, les pays adjacents ont pris l’initiative d’une coopération avec la Russie. Le réseau travaille à élargir cette collaboration et à développer des partenariats pour améliorer les échanges d’informations avec les autorités sanitaires russes.

Parmi les actions réalisées par le réseau, une vaccination systématique des enfants de moins de deux ans en Alaska et dans le Nord canadien a permis de diminuer de plus de 80% le nombre de nouveaux cas de pneumonie.

Une autre de ses missions consiste à anticiper les impacts sanitaires des modifications que subissent régulièrement les régions arctiques. En effet, ces régions présentent un pôle attractif pour la main d’œuvre minière et industrielle. Une nouvelle ressource s’est ajoutée depuis peu : le tourisme. Toutes les allées et venues qui en découlent augmentent le risque d’importer des agents pathogènes dans les communautés résidentes.

Village de Kulusuk sur la côte Est du Groenland

Village de Kulusuk sur la côte Est du Groenland
Photo : wili_hybrid
Certains droits réservés : Licence Creative Commons

Le réchauffement climatique constitue également une menace. Ces deux dernières décennies, la température moyenne de l’Arctique a augmenté deux fois plus vite que dans le reste du monde, modifiant ainsi la distribution géographique des microorganismes déjà présents dans ces régions. Une anecdote, survenue en juillet 2004, est significative : une épidémie de gastroentérite s’est déclarée parmi les passagers d’un bateau de croisière qui avaient consommé des huîtres de culture récoltées dans la région d’Anchorage en Alaska. L’été 2004 fut le premier été au cours duquel la température moyenne de l’eau dépassa les 15~°C. Ce type d’intoxication alimentaire ne s’était jamais rencontré sous ces latitudes, la dernière épidémie rapportée se situant 1~000 km plus au sud. Des températures plus douces peuvent aussi modifier la répartition des maladies transmises à l’homme par les animaux, en influençant la distribution géographique ou le comportement des animaux hôtes [2]Voir par exemple : 290.. Enfin, la fonte du pergélisol, associée à des évènements climatiques extrêmes comme les inondations endommageant les installations de distribution d’eau potable et d’évacuation des eaux usées, peut être ainsi responsable d’épidémies.

Les populations de l’Arctique présentent donc cette particularité d’être soumises à des infections liées aux conditions environnementales sans être pour autant à l’abri des microorganismes pathogènes sévissant dans des régions plus méridionales. Par exemple la pandémie grippale d’origine aviaire ou l’introduction de nouveaux virus comme le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) y sont autant redoutées que dans le reste du monde.

Pour toutes ces raisons, le rôle du réseau en termes de veille épidémiologique (collecte, tri et partage d’informations), d’action de prévention et de contrôle (vaccinations, soins) est primordial.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Voir le dossier en ligne sur ce site : 231.
2 Voir par exemple : 290.
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