Recherches Arctiques

Actualités de la recherche scientifique
ISSN : 2755-3755

Sauvegarder la culture des Samis, plus grand peuple autochtone d’Europe

Des projets d’exploitation industrielle des terres samies s’accélèrent alors que les activités traditionnelles deviennent rares et trop coûteuses pour ce peuple prospère qui est en bonne santé

Cohabitation avec les anciens colonisateurs

Les Lapons sont une population d’indigènes dont le nom internationalement utilisé est désormais Sami, terme issu de la forme scandinave de leur autodésignation : Sámi. L’aspect dénigrant de la racine « Lapp » (qui explique que Lapon ait été délaissé) a diverses explications : niais, haillons ? Comme pour le terme Esquimau – mangeur de viande crue, abandonné au profit d’Inuit – ce changement de vocabulaire a représenté, selon les spécialistes, le résultat du militantisme de ce peuple autochtone au cœur d’une région cohabitée en majorité par les descendants des colonisateurs.

Ingrid, enfant samie, 1907

Ingrid, enfant samie, 1907
Crédit photo : SaamiblogLicence Creative Commons

Combien sont-ils exactement ? Cent mille ou bien plus ? Ils seraient près de 40~000 en Norvège, moins de 3~000 en Russie. Personne ne connaît leur nombre exact. On retrouve des traces de leur histoire dramatique dans le récit d’un viking, dès 890. Ils furent victimes de taxations et d’impositions de la part des premiers colonisateurs, puis de la politique d’assimilation voulue par les Etats nordiques. Après les inégalités et la ségrégation, entre Lapons éleveurs et Lapons démunis aux XIXe et XXe siècles, ils furent « reconnus » dans les années 1950. La dénonciation de toute tentative d’assimilation, la proclamation d’une autodétermination, telles sont les constantes retrouvées dans leurs déclarations communes successives depuis l’après-guerre. C’est le dernier grand peuple autochtone d’Europe, et il défend ses droits.

Une minorité et un mystère lapon

Il serait aussi, selon certains, une minorité ethnique, c’est-à-dire un peuple sans Etat, au sein de la Scandinavie et de la Russie. Les Samis vivaient sur leurs terres depuis des temps immémoriaux, bien avant que des frontières n’apparaissent dans leur zone de peuplement. Leur immense territoire, la Laponie[1]Le traité de Stromstad la crée en 1751., de plusieurs centaines de milliers de km2 a, par ordre décroissant, une représentation samie en : Norvège, Finlande, Suède, Russie (principalement la péninsule de Kola). Mais en définitive, on ne sait pas grand-chose des Samis. Une carte postale bleue et rouge, représentant leur drapeau et les deux couleurs dominantes de leurs habits traditionnels[2]Le drapeau sami est un symbole fort et récent, datant de 1986. Il est rouge, bleu, jaune et vert. Le cercle rouge et bleu représente le soleil et la lune.. ?

En attendant ?

En attendant ?
Crédit photo : ZetsonLicence Creative Commons

D’où viennent-ils ? Sont-ils en Laponie depuis plus de 12~000 ans comme on le suggère ? C’est en effet ce qui est reconnu par la communauté internationale. Combien subsiste-t-il de variantes linguistiques sames[3]Dialectes ou bien langues, selon les spécialistes. Cette langue finno-ougrienne comme le hongrois ou le finlandais, est non indo-européenne., quelles sont-elles suivant les régions ? Une dizaine aujourd’hui. Qu’est-ce qui définit réellement un Sami ? L’usage courant de la langue est essentiel. C’est en prouvant que l’on parle same, soi-même ou dans sa famille, qu’on peut prétendre à être reconnu sami par les instances nationales (Norvège, Finlande). C’est le same du nord qu’on entend le plus fréquemment et qui est en quelque sorte la langue same oficielle, puisqu’elle est celle de la signalisation routière en Laponie norvégienne.

Protection internationale

La protection de l’environnement arctique, dont la première déclaration remonte à 1991, souligne la responsabilité des Etats nations. La Déclaration d’Ottawa de 1996 a officiellement mis en place le Conseil de l’Arctique en tant qu’instance intergouvernementale de haut niveau. Son but : fournir le moyen de promouvoir la coopération, la coordination et l’interaction entre les Etats de l’Arctique, avec la participation des communautés autochtones et autres habitants de la zone concernée. La reconnaissance par les Etats de la relation des peuples à leur terre et de la contribution de ceux-ci à la protection de l’environnement est le fer de lance des organisations participantes. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, la Convention des Droits de l’homme, la déclaration de 2007 sur les droits des autochtones protègent les Samis. L’UNESCO, lui, sauvegarde, par la Convention de 2003, le patrimoine culturel immatériel : les langues, l’histoire orale, le folklore, les connaissances et les traditions… Or, une réunion internationale de l’UNESCO eut lieu en mars 2009 à Monaco sur le thème du développement durable de la région Arctique. Des défis scientifiques, sociaux, culturels et éducatifs n’y manquent pas.

Carte de la Laponie

Carte de la Laponie
Crédit photo : AlexDraco
Certains droits réservés : Licence Creative Commons

Conseil sami

Le Conseil nordique fut créé en 1956 (aujourd’hui appelé Conseil sami). Il fut appelé Conseil lapon nordique lors de sa création, dans la ville de Karasjok, en Norvège. La Déclaration sur la création du Conseil de l’Arctique, à Ottawa, en 1996, lui donne sa légitimité juridique. Le Conseil sami est une organisation parapluie pour les associations samies des différents Etats cités plus haut : Norvège, Suède, Finlande, Russie. Huit associations sont membres de cette instance, dont une est située dans la ville de Murmansk, à la racine de la péninsule de Kola, en Russie. Lorsqu’en 1992, suite à la chute du mur, cette association russe fut acceptée dans le giron du Conseil nordique, il prit le nom de Conseil sami, la Russie n’étant pas considérée comme un pays « nordique ». La 19e et dernière conférence triennale samie qui a eu lieu à Rovaniemi, en Finlande, en 2008, a aboutit à la publication d’une déclaration commune pour faire pression contre la déforestation. Il existe aussi de réels parlements samis en Scandinavie, qui jouent un rôle politique. La reconnaissance des droits samis sont supranationaux, c’est-à-dire qu’ils transcendent les frontières comme, nous le verrons, les troupeaux de rennes.

Une puissance « lapone »

Après la première alerte sur les conséquences potentielles de l’exploitation des terres des peuples autochtones et la création du Conseil nordique, la renaissance de l’identité samie fut proclamée. Aujourd’hui, on scrute les changements climatiques et l’intensification des activités industrielles sur les territoires habités en minorité par ce peuple. L’exposition à un nouveau risque sanitaire, environnemental, fait craindre le danger redouté : la perte de l’élevage traditionnel. Mais la réparation d’injustices passées est dans l’air du temps, partout dans le monde. Les samis ont un pouvoir certain, par rapport aux autres Autochtones de la région arctique. Ils souhaitent par ailleurs tirer des dividendes des ventes des matières premières exploitées. Ils ont, de plus, une culture indigène qui sera peut-être considérée un jour comme patrimoine immatériel par l’UNESCO. Pour le moment, la Laponie suédoise, par exemple, est le plus vaste Patrimoine mondial (matériel) classé par l’UNESCO, car c’est l’un des derniers grand site nature préservé dans le monde.

Rennes, tradition, et santé

Renne et femme samie

Renne et femme samie
Crédit photo : Charclam
Certains droits réservés : Licence Creative Commons

Dans les villes, leur intégration est flagrante. Dans les régions isolées, certains pratiquent encore des activités traditionnelles comme l’élevage et le pastoralisme du renne ou bien encore la pêche. L’élevage avec suivi des voies de transhumance des troupeaux, activité relativement récente dans la grande Histoire, depuis que la chasse a été abandonnée, s’élève farouchement contre des projets destructeurs (ô combien !) du cadre de vie. Dans toute la zone arctique les rennes sont en premier rang de la production de bétail. Dix pour cent des samis, reconnus comme tels, car « autodéclarés », pratiquent ces activités ancestrales transfrontières. Ils travaillent avec des moyens modernes, cela va de soi, et selon des règles internationales. Tout membre de la communauté européenne pourrait pratiquer cette activité en Finlande, pays scandsinave le plus pauvre. Un moratoire historique de 20 ans y prévoit la protection de l’élevage de rennes, qui n’était jusqu’alors aucunement réglementé. La propriété des rennes est privée dans un troupeau qui est collectif. Les bêtes sont marquées dès leur jeune âge. Le temps où vêtements, habitat et ustensiles étaient exclusivement fabriqués à partir de cet animal est révolu. Il fournit principalement de la viande et de la fourrure. Les rassemblements des troupeaux semi-domestiqués se fait en 2010 grâce à des hélicoptères et les déplacements à la recherche des pâturages côtiers peuvent se faire sur plusieurs milliers de kilomètres. Aujourd’hui, les Samis ont une espérance de vie similaire aux autres peuples scandinaves ; ils ont un niveau de vie très élevé. Eleveurs, ils pratiquent aussi l’artisanat d’art sami coloré (ou Duodji) et lucratif, pour les touristes.

Travail et santé

La Convention n° 169 relative aux peuples indigènes et tribaux de l’Organisation internationale du travail (OIT) de 1989 protège la culture, les terres et les droits des samis. La Laponie est sous menace d’explorations pétrolière et gazière, minière, forestière, hydro-électrique. Ces activités industrielles pourraient insidieusement contraindre ce peuple à abandonner l’élevage de rennes ou la pêche traditionnelle ce qu’il a déjà fait dans sa majorité. La Norvège est, il faut le rappeler, un exportateur mondial de gaz et de pétrole majeur. La pression foncière, la dégradation écologique, les changements climatiques sont des menaces imminentes. Il y a cependant encore bien plus de rennes (400~000 ?) que d’inscrits sur la liste électorale samie du parlement Norvégien, en 2010 (moins de 20 000 ?). A ce propos, la langue same comprendrait des centaines de termes pour désigner l’animal renne. Les anciens Samis soviétiques, eux, avaient perdu leurs troupeaux dans les années 1960… Seuls les Samis obtiennent l’autorisation légale d’exercer l’activité héritée d’éleveur de rennes en Norvège et Suède. La déconnexion progressive des Samis de leur Laponie est redoutée sur le plan sanitaire. De tels changements environnementaux auraient des conséquences psychosociales, puis individuelles.

Concept de santé

XVIIe siècle : tambour magique pour la transe chamanique, avec messages chrétiens... Et un magnifique renne, à droite

XVIIe siècle : tambour magique pour la transe chamanique, avec messages chrétiens… Et un magnifique renne, à droite
Crédit photo : saamiblog
Certains droits réservés : Licence Creative Commons

On note les profondes disparités en matière de santé entre autochtones et non-autochtones dans le monde, et la discrimination systématique dans l’accessibilité aux services médicaux de qualité. De même, on pointe les taux de suicide, notamment chez les jeunes hommes. Ce n’est pas (encore ?) le cas des Samis. Jusque quand ? En effet, la littérature scientifique révèle des différences culturelles dans l’idée de suicide chez les jeunes samis, comparés au jeunes non autochtones. Ce n’est pas pour cela que les taux de suicide diffèrent entre les deux groupes. Ainsi, pour les Samis, s’écarter des normes culturelles traditionnelles est fortement lié à des tentatives de suicide, après enquête. Certains cultes ou pratiques magiques et sacrées seraient depuis longtemps abandonnés, mais pourtant, les notions de santé, de maladie et de guérison différeraient tout de même des concepts dits occidentaux, les seuls reconnus par la science (?). Chrétiens « complètement convertis », modernes, ils n’en n’ont pas pour autant abandonné dans leur vie quotidienne quelque fond de médecine traditionnelle chamanique. Le chaman redevient à la mode. Il prétend mettre en relation l’individu avec tout ce qui l’entoure, le matériel et l’immatériel, pour l’aider à guérir. L’exploitation du sol et des côtes, richesses convoitées, pourrait-il contraindre ce peuple à abandonner sa culture, ses activités, et rompre en définitive un équilibre global ? L’importance de l’équilibre est reconnu de façon universelle, et en particulier dans la médecine dite occidentale. Selon la constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), depuis sa création, en 1946, on a trop tendance à oublier que la santé est : « un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. »

En conclusion, nous pouvons citer la déclaration fondatrice du Conseil sami : « Nous, Samis, sommes un peuple à part entière, uni par notre propre culture, notre langue et notre histoire, vivant dans des territoires que nous étions seuls à habiter et exploiter, depuis des temps immémoriaux et aussi loin que remonte l’Histoire »[4]C’est le Conseil sami qui avait donné sa propre définition des Samis en 1986 : We, Saami are one people, united in our own culture, language and history, living in areas which, since time immemorial and up to historical times, we alone inhabited and utilized..

Juillet 2010

Note : Cet article a fait l’objet d’une traduction en italien en octobre 2010 et a été publié dans la revue Il Polo.

Fagherazzi-Pagel H. (2010). Salvaguardare la cultura dei Sami, il popolo autoctono più grande d’Europa. Il Polo, Anno LXV(3), 39-45.

Ressources :
Textes et sites officiels

Déclaration d’Ottawa, Canada, (1996) instaurant le Conseil arctique, en français sur le site du ministère des affaires étrangères canadien, signée par 20 Etats
Déclaration pour la protection de l’environnement arctique, Conseil arctique, Rovaniemi, Finlande (1991)
Conseil sami
Texte de la 16e conférence du Conseil sami, Rovaniemi, Finlande (2008)
Organismes internationaux

– Organisation internationale du travail, (1989) Convention n° 169 relative aux peuples indigènes et tribaux de l’Organisation internationale du travail, 1989
– Organisation des Nations-Unies, Conseil économique et social, Droits de l’homme : application de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, 2007
– UNESCO, 2003. Convention pour la sauvegarde du patrimoine immatériel. Conférence internationale d’experts en mars 2009 intitulée : « Développement durable de la région Arctique face au changement climatique », voir les thèmes de cette conférence
– Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Programme des nations Unies pour le développement, 2004, Séminaire sur les pratiques de bonne gouvernance pour la promotion des droits de l’homme. Inclusion des peuples autochtones dans les institutions démocratiques, où l’on évoque les parlements samis

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Le traité de Stromstad la crée en 1751.
2 Le drapeau sami est un symbole fort et récent, datant de 1986. Il est rouge, bleu, jaune et vert. Le cercle rouge et bleu représente le soleil et la lune.
3 Dialectes ou bien langues, selon les spécialistes. Cette langue finno-ougrienne comme le hongrois ou le finlandais, est non indo-européenne.
4 C’est le Conseil sami qui avait donné sa propre définition des Samis en 1986 : We, Saami are one people, united in our own culture, language and history, living in areas which, since time immemorial and up to historical times, we alone inhabited and utilized.
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