Recherches Arctiques

Actualités de la recherche scientifique
ISSN : 2755-3755

Un organisme multicellulaire retrouve ses fonctions vitales après 24 000 ans de congélation dans un sol de Sibérie

Publié le 23.12.2022
La capacité de survie des êtres vivants en milieu hostile est surprenante, certains sont capables de réduire au maximum leur métabolisme et de mimer un état de mort apparente durant des milliers d’années. Les régions polaires sont particulièrement propices à la découverte de tels organismes à cause du froid extrême qui y sévit, c’est le cas en particulier dans les sols gelés de l’Arctique.

Récemment, une équipe de recherche internationale s’est intéressée à une carotte de sédiment de la formation Yedoma (appelée aussi Ice Complex) prélevée à 3,5 m de profondeur dans le pergélisol, à proximité de la rivière Alazeya (ou Alazeïa), au nord-est de la Sibérie. La méthode de datation radiocarbone par spectrométrie de masse par accélérateur a permis de donner un âge de la carotte se situant dans l’intervalle – 24 485 à – 23 960 ans, ce qui correspond à la période géologique du Pléistocène [1]Lien wikipédia sur Pléistocène supérieur.

La carotte était principalement constituée de limon [2]Lien wikipédia sur limon riche en glace et il s’avère qu’elle contenait aussi un organisme multicellulaire nommé rotifère [3]Lien wikipédia sur rotifère bdélloïde [4]Lien wikipédia sur bdélloïde, manifestement encore en vie.

Un rotifère bdélloïde

Un rotifère bdélloïde

Crédit photo : Rkitko

Certains droits réservés : Licence Creative Commons

C’est un minuscule invertébré aquatique dont la taille est comprise entre 150 et 700 μm (1 μm = 0,001 mm), portant deux couronnes de cils vibratiles autour de la bouche. Les rotifères vivent essentiellement en eau douce, dans des mousses humides ou dans les sols humides. Leur morphologie présente une bouche, un tronc et un pied, leur locomotion est de type rampante. Leur reproduction étant exclusivement asexuée, elle est encore appelée parthénogénèse [5]Lien wikipédia sur parthénogénèse, il n’existe donc pas de mâles chez les bdélloïdes. Cette reproduction qui génère uniquement des clones pourrait éventuellement poser problème à long terme par l’absence apparente de brassage génétique, mais la nature a bien fait les choses car ils ont en fait le pouvoir de corriger les mutations apparaissant dans leur génome afin d’éviter les maladies qui pourraient en découler. En outre, ils ont la capacité d’incorporer des morceaux d’ADN « exogènes »  issus de bactéries, de champignons ou de plantes afin de créer malgré tout une diversité génétique salvatrice. Placé dans un milieu de culture par les chercheurs, le rotifère bdélloïde prélevé dans la carotte a engendré au bout d’un mois de nombreux rotifères, tous des clones générés par parthénogénèse.

L’étude de la formation Yedoma a montré une proportion importante de coins de glace [6]Lien wikipédia sur coin de glace bien développés, de même que la découverte fortuite par le passé de mammifères congelés bien préservés dans cette formation a permis aux scientifiques de supposer que les sédiments ont été congelés relativement rapidement après leur dépôt et qu’ils n’ont jamais été décongelés depuis. De surcroît, les études de plusieurs laboratoires ont montré que des particules de 2 micromètres ne pouvaient pas migrer dans la glace ou un sol cimenté par de la glace, ce qui confirme que le rotifère aurait bien le même âge que la formation Yedoma. Les scientifiques ont pu déterminer que le rotifère bdélloïde découvert dans la carotte appartenait à l’espèce Adineta et qu’il présentait une très forte affinité avec un rotifère actuel, Adineta vaga, prélevé en Belgique. Certains clones issus du rotifère de la formation Yedoma ont été congelés à -15°C pendant une semaine et une heure après leur décongélation, la proportion des survivants a été comparée avec celle de rotifères actuels appartenant aussi à l’espèce Adineta, provenant du Svalbard, d’Alaska, d’Europe occidentale et méridionale, de zones tropicales d’Asie et d’Afrique et enfin d’Amérique du Nord, tous ayant été soumis aux mêmes conditions expérimentales.

Un coin de glace dans un pergélisol

Un coin de glace dans un pergélisol
Crédit photo: NASA

Certains droits réservés : Droits NASA

Les scientifiques ont pu constater que tous les rotifères n’avaient pas survécu au traitement imposé, ceux issus de la souche « antique » n’ayant pas été significativement plus tolérants à la congélation que ceux des souches actuelles. Par contre, la souche « antique » supporte mieux la congélation que celles très proches génétiquement d’Adineta vaga, bien que la différence reste tout de même marginale. Les rotifères sibériens ont prouvé qu’ils pouvaient résister à un processus de congélation relativement lent qui normalement peut initier la formation de cristaux de glace susceptibles d’endommager les cellules. Cela implique des mécanismes biochimiques de protection au niveau des organes et des cellules : cette capacité de survivre avec un métabolisme réduit au minimum a été nommée cryptobiose [7]Lien wikipédia sur cryptobiose par les chercheurs. Ce n’est pas la première fois que des organismes reprennent vie après avoir été piégés dans la glace ou le pergélisol sibérien, en effet, nous avions préalablement signalé la découverte de nématodes (vers ronds) [8]Lien vers l’article sur les nématodes datés de 40 000 ans datés de 40 000 ans, de deux virus géants de 30 000 ans (Pithovirus sibericum [9]Lien vers l’article sur Pithovirus sibericum daté de 30 000 ans et Mollivirus sibericum [10]Lien vers l’article sur Mollivirus sibericum daté de 30 000 ans) et d’une plante nommée silène [11]Lien vers l’article sur les silènes datés de 32 000 ans de 32 000 ans.

Toutes ces découvertes prouvent que des êtres vivants pluricellulaires, animaux ou végétaux, peuvent survivre plusieurs dizaines de milliers d’années dans un environnement très froid, développant des stratégies pour maintenir un métabolisme ralenti au maximum mais qui permet tout de même à l’organisme de reprendre vie lorsque les conditions environnementales deviennent plus clémentes. Tous les mécanismes qui permettent à ces organismes d’accéder à la cryptobiose ne sont pas encore bien compris par les chercheurs, mais si un jour ils parvenaient à les décrypter, cela pourrait révolutionner certains domaines de la médecine ou encore les voyages dans l’espace, la science-fiction pouvant alors devenir réalité avec des astronautes reprenant leur activité après un long sommeil de plusieurs centaines ou milliers d’années afin d’aller explorer des mondes inconnus.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Lien wikipédia sur Pléistocène
2 Lien wikipédia sur limon
3 Lien wikipédia sur rotifère
4 Lien wikipédia sur bdélloïde
5 Lien wikipédia sur parthénogénèse
6 Lien wikipédia sur coin de glace
7 Lien wikipédia sur cryptobiose
8 Lien vers l’article sur les nématodes datés de 40 000 ans
9 Lien vers l’article sur Pithovirus sibericum daté de 30 000 ans
10 Lien vers l’article sur Mollivirus sibericum daté de 30 000 ans
11 Lien vers l’article sur les silènes datés de 32 000 ans
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