Menaces sur l’habitat de l’ours polaire
L’ours blanc, ou « Nanuk » en inuit symbolise l’Arctique plus que tout autre animal. Les sujets d’inquiétude sur son avenir sont liés principalement :
– à la pollution de son environnement par les polluants organiques persistants [1]Voir le projet d’étude sur l’impact de la pollution et du changement climatique sur les ours blancs tout autour du cercle polaire arctique : Polar bear (Ursus maritimus) circumpolar health assessment in relation to toxicants and climate change. Voir également : Variation des concentrations de polluants chez l’ours blanc du Groenland sur les polluants persistants du type PBDE., génératrice de graves problèmes écotoxicologiques,
– au réchauffement climatique et à la diminution de la couverture de glace nordique qui en résulte.
La banquise et les plaques de glace dérivantes constituent le terrain de chasse et l’habitat [2]C’est-à-dire le lieu où il vit dans son cadre écologique. privilégié de l’ours polaire. Il les utilise comme plate-forme pour la chasse aux phoques qui sont sa principale nourriture : phoques annelés, phoques barbus, phoques communs… À l’occasion, il peut aussi tuer des morses, des bélugas ou des narvals.
L’ours blanc se répartit généralement le long des régions côtières de l’arctique et dans les chenaux situés entre les îles des divers archipels. Toutefois, sa distribution géographique est variable selon les saisons et l’étendue de la banquise.
Dans les régions où la glace de mer fond durant la période estivale, l’ours blanc peut se rencontrer sur le rivage. Sa survie va dépendre de son habileté à chasser le phoque pendant l’hiver et le printemps, et ainsi accumuler une grande quantité de graisse pour supporter cette période estivale sans glace. D’autres ours effectuent au contraire de grandes migrations saisonnières pour rester sur la glace pérenne et se retrouvent l’été sur la banquise arctique permanente couvrant le centre du bassin polaire. Quant aux femelles gravides (en gestation), elles rejoignent l’hiver leur tanière de maternité, près des côtes, pour hiberner.
Aussi, la réduction de l’habitat banquise pourrait s’avérer désastreuse pour l’ours polaire. Dès 2005, le groupe de spécialistes de cet ours (Polar Bear Specialist Group) déclarait que la population mondiale d’ours blancs devrait baisser de plus de 30 % durant les quarante-cinq années à venir (c’est à dire en trois générations), du fait de la diminution de la banquise. En 2006, l’ours polaire a été classé comme « vulnérable » dans la Liste rouge de l’UICN, l’Union internationale pour la conservation de la nature.
Une étude récente, publiée dans Ecological Monographs par une équipe scientifique internationale réunissant Etats-Unis, Canada, Groenland, Norvège et Russie, apporte d’autres résultats prévisionnels. Les chercheurs ont tenté de prévoir la répartition de l’habitat de l’ours polaire durant le XXIe siècle, en s’appuyant sur des modèles climatiques, afin d’évaluer les conséquences de la diminution de la banquise sur ces animaux. Pour cela, des ours polaires ont été équipés de balises satellites et suivis entre les années 1985-1995, afin de cartographier leurs habitats préférés en fonction des saisons et des ressources utilisées[3] Les préférences d’habitats selon les saisons sont décrits par les RSF (Resource Selection Function). Les RSF indiquent la probabilité d’utilisation d’une unité de ressources par un organisme..
Les chercheurs ont ensuite extrapolé ces modèles d’utilisation des ressources pour évaluer les changements de répartition de son habitat dans le bassin arctique en se basant sur :
– l’état de la banquise durant la période 1996-2006,
– les projections de l’état de la banquise au cours du XXIe siècle selon les modèles climatiques développés par l’IPCC [4] IPCC : Intergovernmental Panel on Climate Change : le résumé du 4e rapport d’évaluation de l’IPCC est consultable sur le site de Greenfacts, en ligne, l’organisme de référence pour le changement climatique.
D’après ces modèles de prévision, le phénomène de perte de glace marine serait beaucoup plus marqué durant l’été.
Quelques chiffres : sur la base d’une surface habitable de 1 million de km2 en 1985-1995, on passerait à 0,32 milllion de km2 durant la période 2090-2099, soit 68% de perte d’habitat durant cette saison. Les projections de diminution de l’habitat durant l’hiver sont moins élevées. Pour 1,7 millions de km2 de 1985-1995 on passerait à 1,4 millions de km2 de 2090-2099, soit 17% de perte.
Les ours polaires préfèrent les habitats situés dans des zones d’eau peu profonde du plateau continental, partiellement couverts par la banquise, et situés près des terres durant l’hiver où les femelles gravides se réfugient pour hiberner. Or, ce sont justement ces zones géographiques qui, d’après les prévisions et les observations [5]Voir à ce sujet : Satellites et sous-marins au chevet de la banquise arctique. , seraient les premières touchées par la fonte des glaces. Cela implique que pour les ourses qui, durant l’été vivraient sur la banquise à de plus hautes latitudes, le retour au refuge habituel, situé généralement à quelques kilomètres des côtes, occasionnerait pour elles de grandes dépenses énergétiques.
Géographiquement, d’après les changements observés ces vingt dernières années, les pertes les plus significatives d’habitats se situent au printemps et en été principalement dans les mers de Beaufort, Chukchi, Barents et du Groenland est. Pour le XXIe siècle, des pertes également prononcées au niveau des mers de Laptev et de Kara sont prévues. A la fin de ce siècle, les régions du nord de l’archipel canadien et du Groenland – zones où la banquise pérenne est beaucoup plus épaisse et la perte d’habitat limitée – devraient être les plus viables pour ces populations d’ursidés. En Alaska et en Eurasie, où les variations saisonnières d’amplitude de la banquise seront les plus marquées, les ours blancs devront, soit migrer sur de longues distances pour rester sur la glace, soit demeurer la saison estivale sur les terres. Cependant, chacun de ces scénarios présente un coût énergétique élevé.
Finalement, les taux de survie, de reproduction et de recrutement [6]C’est-à-dire l’ajout de nouveaux individus à une population. des ours polaires qui choisiront entre ces différentes options détermineront la stratégie qui leur sera la plus favorable… à l’aube du XXIe siècle.
Notes de bas de page
↑1 | Voir le projet d’étude sur l’impact de la pollution et du changement climatique sur les ours blancs tout autour du cercle polaire arctique : Polar bear (Ursus maritimus) circumpolar health assessment in relation to toxicants and climate change. Voir également : Variation des concentrations de polluants chez l’ours blanc du Groenland sur les polluants persistants du type PBDE. |
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↑2 | C’est-à-dire le lieu où il vit dans son cadre écologique. |
↑3 | Les préférences d’habitats selon les saisons sont décrits par les RSF (Resource Selection Function). Les RSF indiquent la probabilité d’utilisation d’une unité de ressources par un organisme. |
↑4 | IPCC : Intergovernmental Panel on Climate Change : le résumé du 4e rapport d’évaluation de l’IPCC est consultable sur le site de Greenfacts, en ligne |
↑5 | Voir à ce sujet : Satellites et sous-marins au chevet de la banquise arctique. |
↑6 | C’est-à-dire l’ajout de nouveaux individus à une population. |