Recherches Arctiques

Actualités de la recherche scientifique
ISSN : 2755-3755

De l’influence des caractéristiques et de l’épaisseur de la neige sur les températures de surface du sol – Conséquences quant au devenir du pergélisol en Arctique

Publié le 02.07.2015
Les auteurs développent une approche en vue d'estimer les variations journalières de la conductivité thermique de la neige, reposant sur des mesures de la température de l'air, de celle du sol, ainsi que de l'épaisseur de la couverture neigeuse. Ils ont pu valider cette méthode à partir de quatre sites d'étude situés en Alaska et en déduisent que la modélisation de la dynamique de la température de surface du sol devient plus précise comparée aux investigations où la conductivité est considérée comme constante dans le temps, ce qui n'est pas sans répercussions concernant les perspectives d'évolution du pergélisol des régions arctiques.

De par ses propriétés isolantes, le manteau neigeux est susceptible d’exercer un contrôle des échanges thermiques intervenant entre la surface du sol et l’atmosphère, pouvant dès lors fortement influencer la dynamique de la couche active des sols et celle du pergélisol sous-jacent. Du fait du réchauffement climatique dont il n’est plus à démontrer qu’il affecte tout particulièrement la région arctique, un phénomène de dégel tend à intervenir dans de nombreux secteurs et entraîne une disparition du pergélisol dont on comprend qu’elle puisse avoir un impact tant sur les écosystèmes que sur les infrastructures.

Hatcher Pass sous un épais manteau hivernal (Monts Talkeetna, Alaska)

Hatcher Pass sous un épais manteau hivernal (Monts Talkeetna, Alaska)
Source : Wikimedia Commons/br>Crédit photo : Shirley Binn
Certains droits réservés : Licence Creative Commons

Cette dégradation devrait s’accélérer au cours des décennies à venir, les prévisions les plus alarmistes faisant état d’une quasi disparition du pergélisol de l’Arctique à l’aube du XXIIème siècle[1] Selon le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) et à propos du pergélisol qui actuellement couvre de l’ordre de 20 % de la superficie de la planète, étant essentiellement présent en Alaska, au Canada, au Groenland et en Sibérie, l’augmentation des températures atmosphériques constatée dans ces régions conduit à prédire que plus d’un tiers de celui-ci pourrait avoir disparu à la fin du XXIème siècle, les scénarios les plus pessimistes faisant état d’une réduction atteignant 80 %.. Outre l’élévation des températures, on suspecte en effet l’intervention d’un phénomène de rétroaction positive[2] L’augmentation des températures de surface due à l’effet de serre provoque la dégradation du pergélisol qui, en libérant du carbone sous forme de gaz carbonique et de méthane, est susceptible d’accentuer à son tour le réchauffement. dû aux émissions atmosphériques de gaz à effet de serre (méthane et gaz carbonique) issus de la mobilisation du carbone organique emprisonné dans le pergélisol en cours de dégradation, par le biais notamment d’un dégazage des mares de thermokarst[3] Le pergélisol constituant une immense réserve de carbone organique, immobilisé jusqu’à présent par le gel, on envisage que sa fonte accélérée serait en mesure de libérer d’énormes quantités de gaz à effet de serre, du gaz carbonique mais aussi du méthane, beaucoup plus redoutable dans la mesure où l’impact de ce dernier est censé être 20 à 25 fois supérieur, sur un cycle de 100 ans. Voir sur notre site le dossier intitulé Transfert accru de carbone du pergélisol vers l’océan Arctique et dégazage des tourbes de Sibérie en réponse au réchauffement planétaire, qui met tout particulièrement l’accent sur le rôle du processus thermokarstique actif intervenant en Sibérie occidentale dans le relargage au niveau de l’atmosphère de gaz carbonique et de méthane dont on suspecte qu’ils pourraient être dans l’avenir à l’origine d’un renforcement significatif de l’effet de serre..

De façon à évaluer le bien fondé de ces projections pour le moins inquiétantes, il a paru opportun aux auteurs de paramétrer les propriétés thermiques de la neige et en particulier de déterminer précisément les variations temporelles de sa conductivité thermique. Bien que celle-ci ait souvent été considérée comme demeurant constante durant l’ensemble de la période neigeuse, elle dépend en réalité de nombreux facteurs,

Vue aérienne de lacs de thermokarst du North Slope

Vue aérienne de lacs de thermokarst du North Slope
Crédit photo : Katey Walter Anthony – UAF (Université de l’Alaska à Fairbanks)

dont la température de l’air et celle de la neige, la densité et la structure de cette dernière selon la nature et l’agencement des particules qui la constituent, facteurs dont il a été démontré qu’ils pouvaient varier à la fois en fonction du temps et de la profondeur.

Alors que les études anciennes sont généralement fondées sur des observations effectuées sur le terrain ou au laboratoire, qu’accessoirement elles reposent sur des considérations purement théoriques, les recherches récentes font appel à des approches physiques pour simuler les propriétés de la couverture nivale et permettre des estimations quant aux températures régnant au niveau du sol. L’étude présente est fondée sur une simulation de la conductivité thermique « effective » de la neige, à l’échelle journalière, à partir d’un modèle numérique transitoire développé au sein d’un laboratoire de l’Institut de Géophysique de Fairbanks, en Alaska, le GIPL (pour Geophysical Institut Permafrost Laboratory), ayant notamment pour mission de surveiller l’évolution du pergélisol de cette région de l’Arctique. La conductivité effective tient compte des effets combinés de la conduction thermique des particules de glace, de la conduction à travers l’air occupant les espaces vides présents entre les grains, ainsi que des échanges radiatifs à travers ces espaces vides. En utilisant une approche inverse, le modèle du GIPL permet de simuler les températures de surface du sol et d’appréhender ainsi la dynamique de la couche active correspondante, soumise à des cycles de gel/dégel saisonniers. Ce modèle prend en considération les effets de la température atmosphérique, de l’humidité du sol ainsi que de la neige et des propriétés thermiques du sol, considéré comme stratifié (multi-couches).

Subdivisions administratives de l'Etat de l'Alaska

Subdivisions administratives de l’Etat de l’AlaskaY sont en particulier indiqués les arrondissements de Fairbanks North Star et de North Slope dont il est fait référence dans le texte
Source : Wikimedia Commons
Domaine public

Les valeurs obtenues par simulation des températures de surface du sol ont été confrontées, afin de les valider, à des mesures effectuées in situ au moyen de forages de faible profondeur pratiqués au travers de la neige et de la partie superficielle des sols sous-jacents, et ce, au niveau de quatre stations d’observation situées en Alaska[4] Le pergélisol couvre de l’ordre de 80 % de la superficie de l’Alaska, devenant continu au delà de 60 ° de latitude Nord., deux étant localisées sur pergélisol discontinu en plein centre du territoire, à proximité de la ville de Fairbanks, les deux autres nettement plus au Nord, sur le pergélisol continu du North Slope, non loin des rivages de l’océan Arctique. Les variables qui y furent mesurées sont la température de l’air, celle du sol[5] Les mesures de température au niveau du sol furent pratiquées sur une profondeur de 1 mètre à l’aide d’un dispositif comportant des capteurs échelonnés tous les 10 cm à partir de l’interface neige-sol, les relevés étant effectués à intervalles réguliers, en l’occurrence toutes les heures., ainsi que l’épaisseur de la neige. Elles ont permis d’obtenir des séries temporelles en matière de conductivité thermique de la neige, séries couvrant l’intégralité de la saison durant laquelle se produisent les précipitations, permettant ainsi d’améliorer les simulations de la dynamique de la température de surface des sols considérés durant cette période.

Il est à retenir qu’à la fois la conductivité thermique et la capacité calorifique de la neige sont dépendantes de sa densité, ce qui est d’importance étant donné que le manteau neigeux est susceptible de compaction, via des changements de température notamment, des variations de l’humidité ou encore sous l’effet du vent, capable d’y exercer une pression. Il paraît donc opportun d’observer des changements de densité et par conséquent, des modifications des propriétés thermiques de la neige, a fortiori lorsque la profondeur augmente, autrement dit lorsque l’épaisseur de la couverture nivale s’accroît en fonction de l’avancement de la saison. C’est ce que purent mettre en évidence les chercheurs au niveau des deux stations les plus septentrionales, la conductivité de la neige y atteignant les valeurs les plus élevées que dès lors ils relièrent à des facteurs climatiques, plus spécifiquement à une compaction due au vent, ayant eu pour conséquence d’entraîner un accroissement de la densité de la neige. A contrario, les deux stations situées à proximité de Fairbanks ne présentaient pas une telle évolution en se dirigeant vers la fin de la saison. Selon les auteurs, la végétation, en particulier la forêt (taïga), en ce sens qu’elle est susceptible d’intercepter les chutes de neige mais également d’atténuer les effets du vent (qui de surcroît reste d’intensité moindre comparativement au Nord), pourrait bien en être responsable, du moins pour partie.

Taïga de conifères en Alaska

Taïga de conifères en Alaska
Source : Wikimedia Commons
Crédit photo : Steve Lyon
Certains droits réservés : Licence Creative Commons

Ainsi cette approche était-elle avant tout destinée à tenter de déterminer certaines caractéristiques thermo-physiques du manteau neigeux afin de faciliter la modélisation de la dynamique des températures de surface des sols sous-jacents. Furent notamment observées des variations temporelles de la conductivité de la neige dont il est supposé qu’elles sont essentiellement d’origine climatique et en particulier dues au vent qui induit une augmentation de densité de cette dernière. Par le biais de ce type de mesures de haute précision, l’étude démontre que des stations de surveillance du pergélisol sont susceptibles d’être utilisées indirectement à des fins d’observation des particularités de la couverture nivale dont on imagine aisément qu’elle puisse jouer un rôle déterminant quant à l’évolution du pergélisol qu’elle recouvre périodiquement.

Des chercheurs du laboratoire franco-canadien de Takuvik, situé au Nunavik (région arctique du Québec), s’intéressent à des problématiques très comparables faisant l’objet d’un vaste projet de recherche, le projet APT (Acceleration of Permafrost Thaw by Snow-Vegetation Interaction), qui regroupe pas moins de huit laboratoires français et canadiens[6] Voir l’article intitulé « Pergélisol, le piège climatique », ayant été publié récemment dans CNRS Le journal.. En particulier, Florent Dominé, chercheur à Takuvik et initiateur du projet, insiste sur la nécessité impérieuse d’intégrer les données en rapport avec la fonte en cours du pergélisol dans les modèles de prévisions climatiques simulant les effets du réchauffement planétaire actuel, en l’occurrence les rejets dans l’atmosphère de gaz carbonique et de méthane (puissants gaz à effet de serre s’il en est) en provenance du carbone organique piégé depuis des millénaires dans le pergélisol de la région et d’ailleurs. Le chercheur préconise de déterminer précisément le régime thermique du pergélisol en fonction des conditions extérieures que sont la température de l’air, la vitesse du vent, la nature du sol et, ici encore, les caractéristiques du manteau neigeux qui le recouvre en hiver. Durant cette saison, la neige exerce un rôle tampon entre le pergélisol et l’air extérieur, empêchant le premier de se refroidir autant que le second, mais ses propriétés isolantes varient effectivement en fonction de son épaisseur, mais aussi de sa structure et de sa densité, une neige peu dense préservant en l’occurrence davantage du froid qu’une neige plus compacte du fait de sa conductivité thermique moindre (cf. ci-dessus).

Concentrations en CO2 atmosphérique et flux de carbone en direction de l’atmosphère entre 1750 et 2000

Concentrations en CO2 atmosphérique et flux de carbone en direction de l’atmosphère entre 1750 et 2000
Source : Wikimedia Commons
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Un autre facteur à prendre en considération est le couvert végétal dont on sait qu’il s’étend avec la hausse des températures atmosphériques, arbres et arbustes ayant en particulier tendance à migrer vers le Nord. Or, la neige soufflée par le vent va pouvoir s’accumuler davantage en présence de végétation et ce phénomène, couplé à l’augmentation du régime des précipitations qui fait que la neige peut tomber en quantité bien plus importante qu’auparavant (malgré qu’elle ait tendance à tomber moins souvent), induit une augmentation des hauteurs de neige, phénomène ayant une influence directe sur le réchauffement du pergélisol (une épaisseur de neige importante fait que le pergélisol sera mieux isolé de l’atmosphère plus froide en hiver et qu’il aura de fait tendance à se réchauffer et non à se refroidir).

Etant donné la dégradation en cours du pergélisol dont il est nécessaire de prendre conscience qu’elle affecte l’ensemble de la zone arctique, dans la mesure aussi où c’est effectivement du « vieux carbone » qui est relargué dans l’atmosphère au droit des mares de thermokarst (au Nunavik, les analyses indiquent qu’il peut être âgé de 20 000 ans), il ne peut évidemment s’agir que d’une bien mauvaise nouvelle pour la planète puisqu’en définitive, nous sommes les témoins de l’amplification d’une situation qui n’a probablement pas atteint son paroxysme et qui reflète grandement notre consommation effrénée sur le plan des énergies fossiles, dégazage du pergélisol ne pouvant ainsi que se surajouter à l’effet de serre que nous aurions provoqué et qui en serait précisément à l’origine…

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Selon le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) et à propos du pergélisol qui actuellement couvre de l’ordre de 20 % de la superficie de la planète, étant essentiellement présent en Alaska, au Canada, au Groenland et en Sibérie, l’augmentation des températures atmosphériques constatée dans ces régions conduit à prédire que plus d’un tiers de celui-ci pourrait avoir disparu à la fin du XXIème siècle, les scénarios les plus pessimistes faisant état d’une réduction atteignant 80 %.
2 L’augmentation des températures de surface due à l’effet de serre provoque la dégradation du pergélisol qui, en libérant du carbone sous forme de gaz carbonique et de méthane, est susceptible d’accentuer à son tour le réchauffement.
3 Le pergélisol constituant une immense réserve de carbone organique, immobilisé jusqu’à présent par le gel, on envisage que sa fonte accélérée serait en mesure de libérer d’énormes quantités de gaz à effet de serre, du gaz carbonique mais aussi du méthane, beaucoup plus redoutable dans la mesure où l’impact de ce dernier est censé être 20 à 25 fois supérieur, sur un cycle de 100 ans. Voir sur notre site le dossier intitulé Transfert accru de carbone du pergélisol vers l’océan Arctique et dégazage des tourbes de Sibérie en réponse au réchauffement planétaire, qui met tout particulièrement l’accent sur le rôle du processus thermokarstique actif intervenant en Sibérie occidentale dans le relargage au niveau de l’atmosphère de gaz carbonique et de méthane dont on suspecte qu’ils pourraient être dans l’avenir à l’origine d’un renforcement significatif de l’effet de serre.
4 Le pergélisol couvre de l’ordre de 80 % de la superficie de l’Alaska, devenant continu au delà de 60 ° de latitude Nord.
5 Les mesures de température au niveau du sol furent pratiquées sur une profondeur de 1 mètre à l’aide d’un dispositif comportant des capteurs échelonnés tous les 10 cm à partir de l’interface neige-sol, les relevés étant effectués à intervalles réguliers, en l’occurrence toutes les heures.
6 Voir l’article intitulé « Pergélisol, le piège climatique », ayant été publié récemment dans CNRS Le journal.
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