Du plomb dans l’assiette: une étude chez les Inuits d’Alaska
Les « plombs » présents dans les cartouches tirées par les chasseurs dans les zones humides ne finissent pas toujours leur course dans le corps d’un volatile : la plupart d’entre eux échouent au fond des rivières ou sur les berges.
Cependant, les oiseaux qui ont eu la chance d’échapper aux coups de fusil ne sont pas tirés d’affaire pour autant. En effet, ils ingèrent des petits graviers qu’ils vont stocker dans leur gésier afin de mieux broyer leurs aliments. Or, au même titre, ils peuvent avaler des billes de plomb. Rongé par les acides de l’estomac, ce métal très toxique va se dissoudre et s’accumuler dans toutes les parties de leur corps. En résulte une mortalité plus ou moins élevée et plus ou moins rapide des oiseaux selon le nombre de plombs ingérés. De plus, ils deviennent à leur tour dangereux car ce plomb va affecter toute la chaîne alimentaire, les oiseaux étant mangés par des prédateurs, dont l’être humain fait partie!
Pourtant, les États-Unis ont été les premiers à interdire en 1991 l’utilisation du plomb pour la chasse au gibier d’eau et à préconiser son remplacement par de l’acier ou du tungstène (la France ne l’a fait qu’en juin 2006 ! [1]Voir à ce sujet le site de la Ligue de protection des oiseaux (LPO). ). Toutefois, de nombreux chasseurs sont réticents à utiliser des munitions sans plomb à cause de leur coût élevé et de caractéristiques physiques qui les contraignent à modifier leurs habitudes de tir. Or, les plombs de chasse pouvant être utilisés de façon légale dans les zones sèches, ils sont encore commercialisés, et la chasse avec ce type de projectiles dans les zones humides persiste donc dans certaines régions, par exemple dans l’ouest de l’Alaska.
Une étude récente a démontré une forte concentration en plomb dans les tissus des eiders, de gros canards chassés de façon courante pour leur chair à proximité du delta du Yukon. Or ces derniers, avec d’autres oiseaux des zones humides, représentent une part importante de l’alimentation des Amérindiens de cette région (autour de la ville de Bethel, à l’ouest de l’Alaska).
C’est pourquoi des scientifiques ont comparé le taux sanguin en plomb (la plombémie) des habitants de Bethel avec celui des habitants de Barrow, contrée du nord de l’Alaska, où les projectiles à base d’acier sont prédominants.
Ils ont aussi analysé le rapport isotopique du plomb présent dans les échantillons sanguins et l’ont comparé avec celui des plombs de chasse utilisés dans la région de Bethel afin de déterminer une éventuelle origine géologique commune de ce métal.
Les résultats montrent une concentration moyenne en plomb de 4,7?g/dL de sang dans les échantillons prélevés à Bethel contre 1,4?g/dL dans ceux prélevés à Barrow. En ce qui concerne le rapport isotopique du plomb, les données sont moins probantes, mais elles laissent supposer que les projectiles en plomb pourraient être une source potentielle d’exposition à ce métal chez certaines populations via leur alimentation. Les autres sources pourraient être la peinture au plomb (mais celle-ci est rare en Alaska, les habitations étant relativement récentes), une exposition lors de tirs effectués dans une enceinte close ou un usage médicinal.
La maladie qui résulte de l’intoxication chronique par le plomb est appelée saturnisme. Les Center for Disease Control des États-Unis, l’OMS et la plupart des pays de l’Union européenne ont fixé une valeur limite de plombémie de 10 µg/dL [2]Pour plus d’informations sur les valeurs limites de plombémie, voir l’article sur le saturnisme dans Wikipédia.. Néanmoins, de nombreux toxicologues estiment qu’en dépit de cette norme, il n’existe pas vraiment de seuil minimal de dangerosité pour ce métal.
Notes de bas de page
↑1 | Voir à ce sujet le site de la Ligue de protection des oiseaux (LPO). |
---|---|
↑2 | Pour plus d’informations sur les valeurs limites de plombémie, voir l’article sur le saturnisme dans Wikipédia. |