Les Inuits à l’heure du changement climatique
Dans un numéro spécial de la revue Etudes Inuit, consacré à cette question, A. Nicole Stuckenberger propose en introduction une synthèse de plusieurs articles dont voici quelques grandes lignes.
Tout d’abord, il faut rappeler que les modifications du climat font partie de la vie des groupes autochtones. Depuis longtemps, les Inuits ont développé une connaissance de l’environnement, des savoirs pratiques et des techniques de survie et de subsistance, du fait précisément de leur adaptation à diverses conditions climatiques. L’utilisation modulable des ressources, la mobilité géographique, le contrôle des naissances, les réseaux sociaux de solidarité ont constitué autant de stratégies et de réponses aux changements environnementaux. Pourtant, les orientations récentes du climat sont sans précédent dans la mémoire des Inuits. Comment les Inuits comprennent-ils alors ce nouveau changement climatique ? Quelles sont les stratégies d’adaptation actuelles ? Comment les impacts de ces transformations climatiques sont-ils perçus ? Et comment cette compréhension donne-t-elle forme aux processus d’adaptation ? Car, le changement climatique est de plus en plus une réalité qui imprègne la vie sociale et les manières de vivre.
A partir de quelques exemples, des éléments de réponse sont envisagés :
A l’est du Groenland, les chasseurs tunumiit mènent ensemble un débat de réflexion politique à partir de leurs observations sur les modifications de l’environnement. Ils interrogent les savoirs traditionnels et leurs expériences de développement durable en matière de gestion de la ressource animale. Ils confrontent ainsi pratiques et valeurs à l’aune de ce changement et constatent qu’elles s’en trouvent renforcées. L’écologie fait en effet partie de la culture traditionnelle et des pratiques actuelles.
Sur l’île Nelson, les Yup’ik font appel à la mémoire collective et culturelle des aînés. Evoquer l’ancien temps permet de créer chez les jeunes générations une prise de conscience indispensable des conditions climatiques nouvelles, des migrations animalières, de la nature des glaces, et de leurs conséquences sur les activités de pêche, de chasse et de collecte.
Les rituels, notamment ceux de guérison de la terre mais aussi d’autres rites propitiatoires liés à l’environnement, montrent une autre dimension dans l’approche du changement climatique de la part des Inuits. Néanmoins, l’intégration des cadres de pensée occidentaux et des données scientifiques à ces rituels crée une nouvelle dynamique entre la tradition ou le folklore, la modernité et les nouvelles données de l’environnement, surtout dans son expression politique et langagière. Les chasseurs de baleine Inupiat du nord-ouest de l’Alaska sont par exemple susceptibles de disparaître à cause du changement climatique, de l’exploitation pétrolière [1]Voir l’article Ruée vers l’or noir en Arctique : l’autre Guerre froide ! qui l’accompagne et du trafic maritime encouragé par la fonte des glaces [2]Voir l’article Arctique : avec ou sans glace ? La fonte de la banquise s’accélère… . Ils affirment qu’on attente non seulement à leur « sécurité culturelle » [3]Notion empruntée à Nobuhiro Kishigami (2010), Climate change, oil and gas development, and Inupiat whaling in northwest Alaska, Études/Inuit/Studies, (34), 1, 91-107, Les Inuit et le changement climatique / The Inuit and Climate Change mais aussi à leur survie en tant qu’êtres humains.
C’est pourquoi les institutions officielles doivent prendre en compte la participation et l’expertise des Inuits quand elles décident des adaptations à mettre en œuvre. Le rituel fait appel ici à l’identité et aux problèmes de reconnaissance et d’acceptation des communautés autochtones.
De même, au niveau symbolique, les termes utilisés ont leur importance. Si pour nous la fonte des glaces renvoie à une notion relativement simple, pour les Inuits les choses sont plus complexes. Il faudra parler avec des métaphores propres à chaque univers culturel afin que la notion soit porteuse de sens, d’image et d’émotion. Il s’agit en somme de faire passer dans les manières spécifiques, diverses et variées, de se représenter le changement climatique, l’idée que le problème des glaces existe en tant que nouvel acteur à part entière. Cette question qui transcende les particularités culturelles pourra-t-elle se négocier, comme d’autres revendications, au niveau international [4]Voir l’article L’internationalisation de la question autochtone en Arctique. ?
Notes de bas de page
↑1 | Voir l’article Ruée vers l’or noir en Arctique : l’autre Guerre froide ! |
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↑2 | Voir l’article Arctique : avec ou sans glace ? La fonte de la banquise s’accélère… |
↑3 | Notion empruntée à Nobuhiro Kishigami (2010), Climate change, oil and gas development, and Inupiat whaling in northwest Alaska, Études/Inuit/Studies, (34), 1, 91-107, Les Inuit et le changement climatique / The Inuit and Climate Change |
↑4 | Voir l’article L’internationalisation de la question autochtone en Arctique. |