L’impact inattendu des oies sauvages sur les étangs arctiques
Au Svalbard, les populations nicheuses d’oies sauvages sont constituées principalement de la Bernache nonette (Branta leucopsis) et de l’oie à bec court (Anser brachyrhynchus). Les scientifiques cherchent à savoir si leur démographie galopante [1]Ces oiseaux migrent en Europe (Grande-Bretagne, Allemagne et Pays-Bas) durant la saison froide. Leur explosion démographique serait liée à la disponibilité de la nourriture sur leur site d’hivernage et au changement climatique qui augmenteraient leurs chances de survie l’hiver. a des répercussions sur ces écosystèmes fragiles. Ils s’interrogent également sur le développement simultané d’un petit crustacé du genre Daphnia, appelé communément puce d’eau.
La présence de ces oiseaux a une répercussion sur les eaux de surface de la toundra arctique de la zone littorale, constituée d’étangs peu profonds sur pergélisol, où ils se reproduisent et s’alimentent de plantes herbacées terrestres et aquatiques. Leurs fientes vont enrichir en matière organique ces eaux pauvres en matières nutritives dissoutes (ultra-oligotrophiques) et riches en oxygène. Ainsi, le guano des populations d’oies peut augmenter de 30 à 60 % l’apport en nutriment dans certaines zones humides où elles vivent en colonies. Dans les étangs, cet enrichissement nutritif, sorte d’eutrophisation, pourrait entraîner une prolifération d’algues et d’autres végétaux aquatiques.
C’est pourquoi des biologistes norvégiens et néerlandais s’intéressent aux conséquences que cet apport en phosphore et en azote provenant des déjections peut avoir sur la chaîne alimentaire de cet écosystème, par un phénomène de cascade trophique [2]Cascade trophique : mécanisme en cascade affectant les organismes sur plusieurs niveaux de la chaîne alimentaire (ou trophique).. La quantité de phytoplancton (microalgues qui constituent le premier maillon de cette chaîne) a été mesurée dans 21 étangs de l’archipel du Svalbard.
Contrairement aux résultats attendus, il n’a pas été constaté d’augmentation de la biomasse du phytoplancton malgré cet apport d’engrais naturel, mais une présence très élevée de daphnies. Ce phénomène serait dû à la structure trophique de cet écosystème particulier réduite essentiellement à deux niveaux : le phytoplancton (niveau des producteurs) et le zooplancton (niveau des consommateurs primaires, herbivores, ici les daphnies). Ces étangs qui gèlent durant l’hiver sont exempts de poissons, tandis que les autres prédateurs potentiels tels que les invertébrés sont rares. Les petits crustacés de type Lepidurus arcticus, consommateurs de daphnies et présents dans certains étangs, semblent incapables de réguler les populations de daphnies et de contrôler leur biomasse.
En terme d’impact sur les écosystèmes d’eau douce, l’enrichissement en nutriment de ces étangs sans poissons n’entraîne pas de « marée verte » du fait du contrôle exercé par le zooplancton.
Ainsi, non seulement le broutage du phytoplancton par les daphnies se révèle tout à fait efficace, mais ces dernières se comportent également comme des pièges à nutriment en absorbant de l’azote et du phosphore, empêchant la prolifération d’algues. Les scientifiques appellent ce contrôle le top-down, c’est à dire une régulation descendante exercée par le niveau trophique le plus élevé.
Notes de bas de page
↑1 | Ces oiseaux migrent en Europe (Grande-Bretagne, Allemagne et Pays-Bas) durant la saison froide. Leur explosion démographique serait liée à la disponibilité de la nourriture sur leur site d’hivernage et au changement climatique qui augmenteraient leurs chances de survie l’hiver. |
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↑2 | Cascade trophique : mécanisme en cascade affectant les organismes sur plusieurs niveaux de la chaîne alimentaire (ou trophique). |