Résilience de la végétation face au broutage et au changement climatique, dans le sud du Groenland
Au cours du 20è siècle, la température de l’Arctique a fortement augmenté et, dans le même temps, les arbustes sont devenus dominants dans la toundra. L’expansion de ces végétaux (plutôt à feuilles caduques) pourrait être directement liée aux températures plus élevées mais aussi être due à une couverture neigeuse plus épaisse induite par les buissons eux-mêmes [1]En effet, les arbustes retiennent la neige, dont la couche plus épaisse permet d’accroître la température du sol et de favoriser l’activité microbienne ce qui augmente la quantité d’azote disponible pour les plantes..
La dominance croissante des arbustes est susceptible d’influencer grandement le fonctionnement des écosystèmes arctiques ainsi que la capacité de la végétation à agir comme un puits de carbone. Outre les changements climatiques, les interactions du climat avec les facteurs biotiques et abiotiques ne sont pas totalement comprises ni la façon dont elles conditionnent les équilibres à long terme entre les buissons, les herbes graminoïdes[2] Page Wikipedia-Graminoïdes. et non graminoïdes dans la toundra.
La consommation par les herbivores est un des facteurs connus pour avoir un impact important sur la façon dont la végétation arctique réagit au changement climatique. Il a été démontré que le broutage par les grands herbivores empêche l’expansion des buissons dans certaines zones. Mais, par endroits, on constate à l’inverse, que le broutage augmente la productivité de la toundra. Des espèces de plantes non consommées par les herbivores gagnent un avantage compétitif, tout comme celles qui survivent au broutage.
Pour mieux comprendre ces diverses interactions, des chercheurs danois ont étudié les changements à long terme dans les communautés végétales du sud du Groenland, de 1984 à 2012.
L’étude avait pour objectif de quantifier les changements dans les couverts relatifs des trois plus importants types fonctionnels de végétaux de la toundra (plantes ligneuses, herbacées graminoïdes et non graminoïdes). Elle visait également à estimer les effets possibles du broutage par des moutons, combinés au changement climatique, sur la composition des communautés végétales. Le but final était de définir l’importance du broutage comme mécanisme de régulation descendante [3]Mécanisme selon lequel les niveaux trophiques plus élevés, ici le broutage, contrôlent le fonctionnement de l’écosystème. de la végétation arctique et, plus spécifiquement, de déterminer s’il a pu contrecarrer l’accroissement prévisible du couvert arbustif dû au réchauffement. L’étude s’est déroulée sur la côte et dans les terres, au sud du Groenland, afin de tester l’influence des conditions climatiques locales.
Contrairement à leurs attentes, dans les données collectées pendant 28 ans, les chercheurs n’ont pas constaté d’effet significatif du changement climatique sur l’abondance relative des trois types de plantes. De plus, il y avait seulement des différences mineures entre les zones broutées et non broutées.
Ces résultats indiquent que, jusqu’à aujourd’hui, la toundra arbustive du Groenland sud est indifférente à la fois au changement climatique et à la pression des herbivores. Cette « résilience » de la végétation est contraire à la tendance à l’expansion des arbustes due au réchauffement constatée dans de nombreuses régions arctiques et subarctiques. De même, l’absence d’impact du broutage contredit plusieurs études montrant que l’action des grands herbivores est capable d’inverser l’extension des buissons provoquée par le changement climatique.
Les chercheurs n’ont pas constaté d’augmentation de la température moyenne des mois de juillet sur la période étudiée alors que les moyennes des températures annuelles ont augmenté de 0,1°C par an. Cela expliquerait pourquoi le climat n’a pas d’effet sur les dominances relatives des trois types fonctionnels de plantes.
Une autre étude récente a conclu que le changement climatique affecte plus les végétaux situés à la limite nord de leur répartition géographique. Dans l’étude présente, le fait qu’aucune espèce d’arbuste rencontrée au sud du Groenland ne soit aux limites de sa répartition peut expliquer que les chercheurs n’ont pas observé de changement majeur dans les dominances relatives des plantes ligneuses ou des autres types végétaux.
Les résultats suggèrent donc que, dans la toundra du sud du Groenland, l’abondance relative des types fonctionnels de plantes n’est impactée ni par le broutage des herbivores ni par le réchauffement.
Voir aussi sur notre site les articles :
La végétation arbustive du Groenland au cours des âges : et demain ?
Le bœuf musqué, une espèce clé de la toundra du Haut Arctique
Notes de bas de page
↑1 | En effet, les arbustes retiennent la neige, dont la couche plus épaisse permet d’accroître la température du sol et de favoriser l’activité microbienne ce qui augmente la quantité d’azote disponible pour les plantes. |
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↑2 | Page Wikipedia-Graminoïdes. |
↑3 | Mécanisme selon lequel les niveaux trophiques plus élevés, ici le broutage, contrôlent le fonctionnement de l’écosystème. |