L’Arctique est toujours aussi mal classé concernant la maîtrise des maladies transmissibles
Gonorrhée et Tuberculose
Alors que depuis plus d’un demi-siècle, les hommes sont allégés du fardeau de nombre d’infections, il subsiste des maladies bactériennes emblématiques de la pauvreté, de la promiscuité et du manque « d’instruction en santé »[1]L’instruction en santé : « Représente les aptitudes cognitives et sociales qui déterminent la motivation et la capacité des individus à accéder, comprendre et utiliser l’information de façon à promouvoir ou maintenir une bonne santé ». Voir le Glossaire multilingue de santé publique, sur le site de la banque de données en santé publique (BDSP).. Parmi elles, la tuberculose et la gonorrhée (nommée aussi blennorragie, infection sexuellement transmissible (IST) par excellence) sont choisies comme indicateurs de l’état sanitaire des populations du Grand Nord. On constate globalement une amélioration. Mais une première étude déplore la persistance de ces maladies parmi les autochtones[2]A titre indicatif, il est extrêmement difficile, voire interdit en France de mentionner l’origine ethnique d’un individu dans les statistiques sanitaires officielles (car les maladies décrites ici sont sans rapport connu avec la génétique, par exemple), Ndlr. de certaines régions en particulier…
L’un des « volets » de l’épidémiologie est la mesure de l’état de santé des populations[3]Voir aussi le début de cette définition plus complète : « L’épidémiologie étudie les variations de fréquence des maladies dans les groupes humains et recherche les déterminants de ces variations (…) ». Source : Académie des sciences. (2006) Valleron, A. –J., Animateur, L’épidémiologie humaine. Conditions de son développement en France, et rôle des mathématiques, Rapport 23. Elle fait partie de la démarche de santé publique, notamment sur les maladies transmissibles, afin de planifier les actions politiques futures : vaccination, dépistage, promotion de la santé…
CircHOB
Dès les débuts du Web, on a décidé de collecter et d’analyser les taux différentiels de maladies infectieuses en Arctique. Le système international de surveillance circumpolaire (SISC) canadien a été créé à cet effet pour traquer l’émergence de maladies nouvelles en Arctique. Le remarquable réseau CircHOB pour Circumpolar Health Observatory va plus loin dès 1998. Il s’agit d’un « agrégateur » en ligne qui établit des résultats lisibles concernant toute la population de la région circumpolaire[4]Le projet était d’abord axé sur la surveillance des maladies bactériennes invasives. Voir ci-dessus le dossier rédigé dans Recherches polaires en 2008 : Maladies infectieuses sous haute surveillance en Arctique .
Il est une extension de l’Institut pour la recherche en santé circumpolaire, organisation unique située à Yellowknife, capitale des Territoires du Nord-Ouest au Canada. Huit États autonomes représentatifs des populations autochtones sont alors contactés à des fins d’étude au sein des États-Unis, Canada, Danemark (Groenland et îles Féroé subarctiques en sus), Scandinavie (Suède, Norvège, Finlande, Islande) et Russie (dont les terres circumpolaires sont immenses) : la santé de treize groupes humains isolés géographiquement a été analysée.
CircHOB produit des données périodiques[5]Elles sont publiées par l’International Journal of Circumpolar Health (voir les bibliographies dans BiblioAlertes sur le site Recherches polaires).. Il a été approuvé par le Conseil de l’Arctique en 2010, et est un membre du réseau international Sustained Arctic Observing Networks (SAON), une référence en matière de développement durable. On peut citer aussi EpiNorth qui collecte les données épidémiologiques d’Europe du Nord et des pays baltes. Outre ces centres internationaux, chaque pays dispose de statistiques que CircHOB harmonise. Il recueille systématiquement les données autochtones arctiques, les normalise, produit un système cohérent.
Le recueil des données en bref
Les microorganismes pathogènes en cause pour les deux maladies choisies sont les bactéries Mycobacterium tuberculosis et Neisseria gonorrhoeae. Mais la preuve de leur existence est variable, suivant la région et les moyens mis à disposition des soignants. Par exemple, le diagnostic d’une tuberculose n’est pas simple. Il se fait parfois sur la base de symptômes et signes typiques, avec ou sans examen complémentaire, en l’absence de confirmation en laboratoire (les différentes juridictions des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) aux États-Unis établissent des « définitions de cas »[6]Voir TermSciences, « Définition de cas » : « Outil épidémiologique définissant la démarche diagnostique permettant de repérer les personnes malades ayant été exposées à un facteur de risque (très utilisé dans le cadre des maladies infectieuses : les cas suspects sont ainsi probables ou confirmés. » légèrement différentes). CircHOB accepte donc des « cas », non comparables les uns aux autres, mais émanant d’organismes officiels de santé publique. Ainsi on obtient des taux annuels d’incidence : nombre de nouveaux cas de ces maladies, dans une population donnée, durant une année (généralement exprimé pour 100~000 personnes).
États-Unis
Pour les États-Unis (dont l’État d’Alaska est caractérisé par ses autochtones inuits (Yupiks) le CDCOn-Line est un outil épidémiologique général. Le site Wonder CDC interactif permet un accès aux taux d’IST et de tuberculoses.
Canada
L’Agence de santé publique du Canada publie un rapport annuel intitulé « La tuberculose au Canada », et des données fiables existent pour les IST, en ligne. Chaque province (Yukon et Nunavut) ou territoire (Territoires du Nord-Ouest) est surveillé.
La Russie
La principale source de renseignements accessible au public est un rapport intitulé « la santé en Russie », publié tous les deux ans. La tendance pour la Fédération de Russie dans son ensemble, et en particulier pour les Nénètses ou les ethnies evenkis de la presqu’île de Taïmyr et de la Tchoukotka se mesure par les liens entre santé et indicateurs sociaux et économiques. Il en est de même pour les données des Khantys-Mansis et des Nénètses de la Iamalo-Nénétsie. Depuis 2005, un « Institut Central de Recherche du Département de la Santé et du Développement social » a publié sur son site web Mednet (en russe) des tableaux statistiques sur les maladies « socialement cruciales », qui comprennent la tuberculose et la gonorrhée.
Scandinavie
Les sources de données fiables sur les Samis et les Inuits islandais sont versées dans la collecte CircHOB.
Les tendances
Russie
Bien que les choses aillent en s’améliorant sur les deux périodes étudiées (2000-2004, 2005-2009), l’incidence de la tuberculose la plus impressionnante se situe au nord du Kamtchatka (Sibérie, région de la Russie), chez les Koriaks (plus de 450 cas pour 100~000 habitants). Elle est 270 fois plus importante que chez les Scandinaves non inuits des îles Féroé (que les auteurs signalent par comparaison) mais comparable aux taux dans la province canadienne du Nunavut et dans le Groenland danois, qui sont également fortement touchés (150/100~000 et 130/100~000).
Alaska
Cet État est plutôt bien placé par rapport aux autres régions circumpolaires. Il a néanmoins des taux de tuberculose chez les Autochtones inuits de 30/100~000 (4 à 7 fois le taux national des États-Unis).
Canada
Trois provinces canadiennes ont été considérées comme représentatives de la population inuite : le Yukon (capitale : Whitehorse), les Territoires du Nord-Ouest (capitale : Yellowknife), le Nunavut (capitale : Iqaluit). C’est cette dernière province à majorité inuite qui ne voit toujours pas le nombre de cas de tuberculoses et de gonorrhées diminuer depuis les années 2000. Si l’on considère les maladies infectieuses au Canada en général, les taux dans certains territoires circumpolaires sont multipliés par quatre (Yukon, Territoires du Nord-Ouest) ou trente (Nunavut) !
Groenland
Invariablement, dans cette île lointaine, on alerte sur les taux les plus élevés de gonorrhée – 1539/100~000 (et de chlamydiase[7]Une autre IST bactérienne : les auteurs constatent ces faits sans décrire les études concernant les comportements sexuels à risque, Ndlr.) de toute la région arctique. Ils s’aggravent avec le temps (les taux de gonorrhée au Nunavut sont du même ordre : 950/100~000).
Ces statistiques sanitaires sont stupéfiantes, car on brasse les données épidémiologiques de la moindre ethnie du monde circumpolaire, de l’Alaska étatsunien au district sibérien autonome de Tchoukotka… Cependant le vaste domaine de la santé sexuelle semble ingouvernable dans certaines régions du monde, notamment au Groenland et dans une moindre mesure au Nunavut.
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Notes de bas de page
↑1 | L’instruction en santé : « Représente les aptitudes cognitives et sociales qui déterminent la motivation et la capacité des individus à accéder, comprendre et utiliser l’information de façon à promouvoir ou maintenir une bonne santé ». Voir le Glossaire multilingue de santé publique, sur le site de la banque de données en santé publique (BDSP). |
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↑2 | A titre indicatif, il est extrêmement difficile, voire interdit en France de mentionner l’origine ethnique d’un individu dans les statistiques sanitaires officielles (car les maladies décrites ici sont sans rapport connu avec la génétique, par exemple), Ndlr. |
↑3 | Voir aussi le début de cette définition plus complète : « L’épidémiologie étudie les variations de fréquence des maladies dans les groupes humains et recherche les déterminants de ces variations (…) ». Source : Académie des sciences. (2006) Valleron, A. –J., Animateur, L’épidémiologie humaine. Conditions de son développement en France, et rôle des mathématiques, Rapport 23 |
↑4 | Le projet était d’abord axé sur la surveillance des maladies bactériennes invasives. Voir ci-dessus le dossier rédigé dans Recherches polaires en 2008 : Maladies infectieuses sous haute surveillance en Arctique |
↑5 | Elles sont publiées par l’International Journal of Circumpolar Health (voir les bibliographies dans BiblioAlertes sur le site Recherches polaires). |
↑6 | Voir TermSciences, « Définition de cas » : « Outil épidémiologique définissant la démarche diagnostique permettant de repérer les personnes malades ayant été exposées à un facteur de risque (très utilisé dans le cadre des maladies infectieuses : les cas suspects sont ainsi probables ou confirmés. » |
↑7 | Une autre IST bactérienne : les auteurs constatent ces faits sans décrire les études concernant les comportements sexuels à risque, Ndlr. |