Valérie Masson-Delmotte, une voix pour le climat
En décembre 2018, la célèbre revue scientifique Nature l’a classée dans sa liste des dix personnalités qui ont le plus compté en 2018. Son mérite : avoir mené à bien la rédaction d’un rapport sur les conséquences d’un réchauffement climatique limité à 1,5 °C, en agrégeant plus de six mille publications sur le sujet en un an et demi. Et cela tout en étant, à 47 ans, directrice de recherche au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), en ayant de hautes responsabilités au sein du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) et en étant nommée membre du tout nouveau Haut Conseil pour le climat…
… « J’ai pris conscience que la vie pouvait être très courte, qu’il ne fallait pas perdre son temps, qu’il fallait agir et suivre la voie pour laquelle on est faite »
Quelle voie ? L’élève ingénieure fouille dans ses affaires et en ressort un vieux magazine qu’elle a conservé de ses années lycée, une revue scientifique qui parle des gaz à effet de serre et des premiers essais de modélisation du climat. Ces recherches ont le goût des nuages de son enfance : elle sera climatologue ! Sans tarder, elle contacte Jean Jouzel, dont les travaux sont cités dans la revue. « Elle souhaitait que je la prenne en thèse, se souvient le climatologue et glaciologue, mais c’était impossible car je venais juste d’accepter un nouveau thésard ».
Heureusement, dans l’unité mixte de recherche CNRS/CEA qu’il dirige sur le plateau de Saclay – qui deviendra plus tard le LSCE – une autre directrice de thèse, Sylvie Joussaume, peut la prendre. L’objet de sa thèse : confronter les simulations de climats passés et les indices issus d’archives naturelles, pour évaluer la capacité des modèles de climat.
Cap au Nord
… 1996 : au lendemain de sa soutenance de thèse, elle est embauchée au CEA pour travailler avec Jean Jouzel. 1998 : elle devient responsable de l’équipe Glaces et continents, climats et isotopes stables (Glaccios) du LSCE. 2000 : elle épouse Marc Delmotte, l’étudiant que Jean Jouzel venait juste de prendre en thèse quand elle l’avait contacté, et elle devient Valérie Masson-Delmotte. Deux filles naissent de leur union. 2008 : elle est nommée directrice de recherche.
« J’ai adoré les années de recherche au sein de Glaccios », raconte Valérie Masson-Delmotte. L’une des expertises de l’équipe est l’étude des carottes de glace issues des glaces polaires. Dans ces régions, la neige s’accumule en couches successives, puis se transforme en glace.
Or, l’eau et l’air qu’elle contient renferment de précieuses informations sur le climat, enregistrées au moment de la chute de neige. En prélevant des carottes de glace de plus en plus profondément, il est possible de remonter dans le temps et de reconstituer le climat qu’il faisait il y a plusieurs centaines de milliers d’années. « J’ai eu la chance d’effectuer deux missions au Groenland, en 1997 et 2008. Lors de la seconde, nous sommes même partis “en famille”. Moi, je travaillais la calotte glaciaire au nord-ouest du Groenland. Avec mon équipe, nous vivions dans un campement à trois mille mètres d’altitude, au milieu de nulle part. Marc, lui, était sur la côte sud, où il participait à l’installation d’une station de suivi atmosphérique des gaz à effet de serre »…
Climatologue multimédia
Peu après son retour, Valérie Masson-Delmotte cosigne avec deux collègues du LSCE, Jean Jouzel et Didier Hauglustaine, le livre Atmosphère, atmosphère sur l’histoire des recherches scientifiques dans les régions polaires. La vulgarisation scientifique, une autre corde à l’arc de la climatologue : « Mon salaire est payé grâce aux impôts de personnes qui ont souvent une situation plus difficile que la mienne. Dès le début de ma carrière, j’ai eu conscience que je devais sortir de mon labo et aller à leur rencontre, leur expliquer en quoi consistait la climatologie, et comment cette science les touchait dans leur vie quotidienne »…
Réchauffement et conséquences
« J’ai découvert l’existence des rapports du Giec pendant ma thèse, alors que je cherchais une information sur l’évolution du climat en Europe. Au fil des années, je me suis de plus en plus investie dans les travaux du groupe ». Après avoir participé comme auteure au quatrième rapport, Valérie Masson-Delmotte coordonne le chapitre sur les climats passés du cinquième rapport, puis est élue coprésidente du groupe 1 du sixième rapport, à paraître en 2021. Et c’est pour un rapport spécial, commandé en 2015 lors de la COP21 et paru en octobre 2018, qu’elle a été honorée par la revue Nature. « À travers moi, c’est le travail collectif des coprésidents des trois groupes de travail et des quatre-vingt-onze auteurs de quarante pays différents et l’appui des unités de support technique qui sont récompensés », insiste-t-elle…