L’Arctique, nouveau Moyen-Orient ? 5 points pour déconstruire un mythe
Le ministère français des Armées a publié en septembre 2019 un document de communication « La France et les nouveaux enjeux stratégiques en Arctique ». Le livret, long de douze pages, présente en plusieurs points thématiques les principaux enjeux qui lient la France à l’Arctique. Les questions de gouvernance, de changement climatique et de présence militaire française y sont abordées à travers une série de courts textes explicatifs, de cartes et d’infographies. La publication de ce document fait suite à une série d’engagements de la France dans le Grand Nord, qui a présenté en 2016 sa première politique arctique intitulée « Le Grand défi de l’Arctique. Feuille de route nationale sur l’Arctique ». La France se revendique comme une nation polaire, ce qu’elle justifie par sa longue histoire d’exploration et de recherche. Dans ce document, il est rappelé que la France est aujourd’hui un État observateur du Conseil de l’Arctique, possède une station de recherche dans l’archipel norvégien du Svalbard et déploie même une activité militaire dans la région.
Le document français, petit fascicule, a fait échos parmi les acteurs de la région. C’est en particulier sa préface, signée de la ministre des Armées Florence Parly, qui a fait réagir. Celle-ci insiste sur l’importance stratégique de l’Arctique, qui « pourrait un jour constituer un espace de confrontation ». Elle compare la région, reprenant une déclaration de l’ancien ambassadeur des pôles Michel Rocard, à « un deuxième Moyen-Orient » et va jusqu’à affirmer que « l’Arctique n’appartient à personne » et « pourrait un jour “constituer un espace de confrontation” » . De vives réactions ont été émises à la suite de cette préface, en particulier de Norvège, dont le ministère des Affaires étrangères a fait savoir son profond désaccord.
La déclaration française a une visée avant tout descriptive et expose les enjeux stratégiques du changement climatique en Arctique ainsi que les actions menées par le ministère des Armées dans la zone. Peut-on pour autant comparer les enjeux arctiques à la situation du Moyen-Orient ? L’Arctique n’appartient-il vraiment à personne ? La région va-t-elle devenir un espace de confrontation ? Nous proposons de revenir sur ces trois affirmations émises par le ministère des Armées et qui font débat. Il s’agira ici de déconstruire l’idée selon laquelle l’Arctique serait un no man’s land juridique à la merci des appétits d’acteurs et des conflits qui peuvent en découler, et analyser les raisons d’une politique française arctique si peu visible sur la scène internationale.
1 – L’Arctique est un ensemble de territoires et de mers largement appropriés juridiquement
L’Arctique, un espace bien délimité dans le cadre des souverainetés nationales
L’engouement ravivé pour les questions de souveraineté en Arctique peut être daté du 2 août 2007, l’année où une expédition russe a planté un drapeau russe en titane au pôle Nord, à plus de 4200 mètres de profondeur sous l’océan. Les conséquences médiatiques de cet événement à portée d’abord scientifique, mais évidemment aussi politique, ont été immédiates. Dans les jours et les mois suivants, la presse s’est empressée d’y voir une revendication de Moscou sur le pôle Nord, et plus généralement les débuts d’une nouvelle Guerre froide pour les territoires et mers arctiques. Mais ce geste, hautement symbolique, sans conteste une prouesse scientifique, n’avait aucune valeur juridique et ses conséquences politiques sont restées très limitées.
L’Arctique est-il un territoire à s’approprier ? La question s’est posée plus récemment encore, au mois d’août 2019 avec la proposition du président Donald Trump d’acheter le Groenland. La réponse a cependant été sans appel : le territoire n’est pas à vendre. En 2019, l’Arctique n’est pas un espace à s’approprier : c’est déjà un espace régi par le droit international et sous la souveraineté de huit États au nord du cercle polaire…