Cette guerre mondiale qui pourrait voir le jour dans l’Arctique
Atlantico : Quels enjeux d’influences se jouent-ils entre OTAN et Russie à la frontière norvégienne ? Est-ce lié avec le projet de route commerciale par l’Arctique ou le gazoduc Nordstream ?
Michael Lambert : Du temps de la Guerre froide, l’Arctique fut l’épicentre des tensions entre l’Union soviétique et les États-Unis dans la mesure où le Grand nord s’imposait comme étant la route la plus pertinente – courte et faiblement militarisée – pour bombarder les territoires soviétiques et Nord américains. En conséquence, les États-Unis et l’Union soviétique n’eurent de cesse de chercher des alliés, et ce, afin de s’assurer de disposer de zones tampons entre les deux grandes puissances, ce qui explique en partie le lobbying américain au Canada et en Norvège, avec pour objectif d’intégrer et équiper ces derniers au sein de l’OTAN.
De nos jours, la position stratégique de la Norvège au sein de l’OTAN reste identique dans la mesure où la Russie est parvenue à conserver le contrôle sur le territoire qui lui donne un accès direct à l’Arctique. Pour l’OTAN et les alliés du Grand nord (Norvège, Islande, Danemark (Groenland) et Canada), il est donc question de conserver une position stratégique similaire à celle du temps de la Guerre froide et endiguer les ambitions de Moscou dans la région qui se matérialisent avec l’ouverture d’une base militaire, les investissements et revendications territoriales de rattachement d’une partie de l’Arctique au sein de la Fédération.
Pour la Russie, l’Arctique est un enjeu stratégique dans la mesure où il est également question de se prémunir contre les revendications et l’influence croissante des États-Unis (projet de rachat du Groenland, vente de F-35 à la Norvège) et préserver les intérêts économiques du pays qui mise sur les investissements croissants en raison du réchauffement climatique, notamment de la République Populaire de Chine, pour le transports de biens par voie maritime.
La Norvège se retrouve dès lors dans un position ambiguë avec d’une part une frontière commune avec la Russie et un diaspora russe sur son territoire, et d’autre part une coopération économique et militaire accrue avec les États-Unis, comme le montre l’acquisition des F-35.
Le débat sur la Russie à Oslo est d’autant plus singulier qu’il est influencé par la Suède et la Finlande, deux pays non-membres de l’OTAN, et la position militaire du Danemark qui est membre de l’OTAN mais ne considère pas la Russie comme la principale menace pour l’OTAN (terrorisme qui s’avère prioritaire pour Copenhague).
La Norvège est depuis des années une zone de tension directe entre l’OTAN et la Russie, la concentration de forces militaires, accentuée par l’envoi prochain de 7500 soldats étasuniens en Norvège, change-t-il la nature de ces tensions ?
Michael Lambert : Sur un plan historique, les relations entre Oslo et Moscou se basent sur une opposition théorique mais moins pratique, en atteste la frontière commune faiblement militarisée pendant la Guerre froide et qui le reste de nos jours. La présence américain en Norvège s’avère naturellement peu appréciée par Moscou qui y voit un rapprochement symbolique entre Washington et Oslo ainsi qu’une matérialisation concrète de la crainte que la Russie continue d’inspirer pour les membres de l’OTAN. Moscou reste cependant compréhensible vis-à-vis de la position militaire norvégienne qui s’impose comme une réponse à ses propres ambitions militaires et économiques dans le Grand nord.
Quelles peuvent-être les différentes évolutions dans la région ?
Michael Lambert : Le réchauffement climatique va entrainer un trafique maritime croissant dans cette partie du monde avec des revendications économiques de la part des principaux protagonistes que sont la Russie, le Canada et les États-Unis (Alaska), et il semble dès lors pertinent d’envisager une modification des dynamiques russo-canadienne et russo-américaine en vue de sécuriser les routes de l’Arctique.
Sur un plan militaire, la dynamique stratégique en Arctique reste identique à celle du temps de la Guerre froide, et c’est la (re)militarisation de la région qui conduit à une appréhension tant de la part de Moscou que d’Ottawa et Oslo qui partagent cet objectif commun qui souffre déjà d’un manque de pragmatisme sur le plan environnemental de la part des Grandes puissances.