Pourquoi cet hiver est-il si doux ?
Janvier 2020 a été le mois de janvier le plus chaud enregistré par la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA – États-Unis) depuis 1880. Dans le nord-ouest de la Russie, les anomalies de température ont même atteint les +5 à +7~°C ! Et en février, les pics de douceur se sont multipliés. À Oloron-Sainte-Marie, dans les Pyrénées-Atlantiques (France), le mercure est monté jusqu’à plus de 28~°C le week-end dernier. Un record battu de plus. À tel point que l’on se demande aujourd’hui si l’hiver 2019-2020 détrônera l’hiver 2015-2016 en tête des hivers les plus chauds enregistrés depuis le début du siècle dernier.
Pour expliquer cette douceur, plusieurs phénomènes dont les effets semblent se cumuler. Il y a d’abord ce que les scientifiques appellent l’oscillation nord-atlantique (NAO). Elle se mesure généralement par un indice qui fait la différence entre les pressions atmosphériques des Açores et celles de l’Islande. Lorsque cet indice apparaît positif, les vents d’ouest apportent un air doux. Et les relevés de la NOAA montrent que l’indice d’oscillation nord-atlantique a été positif durant la quasi-totalité de cet hiver météorologique, c’est-à-dire, depuis le 1er décembre 2019.
Même observation du côté de l’oscillation arctique (AO). Celle-ci indique à quel point l’air froid du nord peut facilement parvenir à pénétrer les latitudes moyennes. Lorsque l’indice d’oscillation arctique se révèle positif, le froid reste comme prisonnier du cercle arctique. Cet hiver, cet indice semble vouloir battre tous les records. Le 10 février dernier, il a culminé à 6,34 contre un précédent record établi le 26 février 1990 à 5,91. Et les scientifiques s’attendent à le voir grimper à nouveau à un niveau compris entre 6 et 6,5 ce week-end.
Oscillations, jet-stream et vortex polaire
Ces chiffres s’expliquent au moins partiellement par un vortex polaire arctique particulièrement stable et concentré sur les hautes latitudes. Cela peut sembler surprenant, car le vortex polaire correspond à une vaste dépression d’altitude alors que les oscillations nord-atlantique et arctique se jouent plus au niveau du sol. Mais les experts sont formels, les interconnexions sont bien réelles. Et d’autant plus palpables cet hiver.
Un vortex polaire calme et c’est donc un jet-stream — le fameux courant d’ouest en altitude — qui peut circuler sans perturbations autour de l’hémisphère nord et installer de puissants vents d’ouest aux moyennes latitudes. Le tout favorisant des indices d’oscillation nord-atlantique et d’oscillation arctique positifs.
Depuis quelques semaines, le vortex polaire est tellement puissant que, selon les scientifiques, même s’il devait subir une perturbation, celle-ci n’aurait pour seul effet que de nous ramener à une situation hivernale normale. Et rien ne laisse présager qu’une telle situation se produise avant la fin de l’hiver. Cependant, la nature nous réserve toujours des surprises. La perte de puissance naturelle du vortex polaire au début du printemps pourrait bien, par exemple, se produire plus brutalement qu’à l’accoutumée et mener à quelques périodes instables à ce moment-là.
Et le réchauffement climatique dans tout ça ?
Cet hiver si doux n’aurait donc pas de rapport avec le réchauffement climatique global ? Serait-il plutôt une conséquence de la variabilité du climat qui nous a déjà amené des hivers plutôt doux en 1995, en 1990 et même en 1975 ? « Les records sont certes probablement battus sur la base de températures moyennes plus élevées sous l’effet du réchauffement climatique », remarque pour Futura, Patrick Gallois, prévisionniste à Météo France. Toutes les conditions sont réunies pour nous offrir un hiver des plus doux. Y compris, quelques rétroactions positives. « Des températures plus élevées provoquent la fonte de la neige sur une partie de la Russie. Et l’absence de neige au sol provoque à son tour une augmentation des températures. Mais nous n’avons aucune certitude concernant l’influence éventuelle du réchauffement global sur le vortex polaire, les oscillations arctique et nord-atlantique ou encore le jet-stream », nous explique Patrick Gallois. Car les mécanismes qui se cachent derrière ces phénomènes gardent leur part de mystère. « Tout ce que nous pouvons faire, à l’heure actuelle, c’est essayer d’anticiper ce type d’événement météorologique. Nous avons noté des relations fortes entre divers paramètres météorologiques parfois distants de plusieurs milliers de kilomètres. Ces téléconnexions nous aident à établir des prévisions saisonnières », nous précise le prévisionniste.
Des chercheurs tentent tout de même d’apporter quelques réponses. Certains affirment que la fonte de la glace de mer en Arctique et les températures de l’air plus chaudes enregistrées ces dernières années sur la région sont susceptibles de perturber le vortex polaire. Des perturbations qui, semble-t-il, mèneraient toutefois plus vers des vagues de froid que vers des hivers plus doux.
D’autres supposent que le fait que l’Arctique se réchauffe deux à trois fois plus vite que le reste de la planète — les chercheurs parlent d’amplification arctique — affaiblit le gradient de température nord-sud. Et produit un jet-stream plus ondulant, responsable d’un plus grand nombre de décrochages de températures…