Réchauffement climatique : comme prévu il y a trente ans, la machine s’emballe dans le cercle arctique
La Sibérie vit une vague de chaleur sans précédent depuis l’hiver dernier avec des températures moyennes supérieures de 6 degrés à la normale. L’Arctique se réchauffe deux à trois fois plus vite que le reste de la planète et le constat se vérifie via tous les indicateurs : thermomètre mais aussi fonte du pergélisol et de la banquise (deux fois plus vite que la moyenne 1980-2010 d’après la NSIDC, le National Snow and Ice Data Center aux États-Unis) ou encore les incendies, qui auraient libéré 59 mégatonnes de CO2 dans l’atmosphère contre 53 l’an dernier d’après Copernicus, programme européen d’observation de la Terre.
Les scientifiques ont identifié depuis longtemps que les variations climatiques étaient plus intenses au pôle Nord mais la persistance de ce phénomène sur plusieurs mois en impressionne plus d’un. C’est le cas de Christophe Cassou, directeur de recherche au CNRS et climatologue, qui nous explique les ressorts de ce réchauffement prononcé dans le grand nord.
Ce qui se passe actuellement dans le cercle polaire est-il une surprise pour les climatologues ou est-ce conforme aux prévisions ?
Le constat est qu’au-dessus du cercle polaire, depuis le mois de novembre, les conditions sont exceptionnellement chaudes avec des températures moyennes de l’ordre de 6 degrés supérieures aux normales saisonnières sur la période janvier-juin 2020, mais aussi des écarts journaliers qui peuvent localement dépasser 15/ 20 degrés [par exemple autour de 35 degrés en Sibérie occidentale au lieu de 20° et un record de 38 degrés à Verkhoïansk le 20 juin, ville la plus froide du globe, hors Antarctique, et où l’amplitude thermique est la plus élevée entre hiver et été]. Ces records ne sont pas étonnants au regard des projections faites par les climatologues et évaluées dans les rapports successifs du GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) mais la persistance de ces anomalies est inquiétante, car l’excès thermique dure depuis l’hiver dernier jusqu’à maintenant.
L’origine de ces conditions chaudes est multiple, comme pour la plupart des événements climatiques extrêmes : il y a toujours un facteur de « variabilité naturelle du climat », qui tend à créer spontanément des conditions plus chaudes ou plus froides selon les années. Dans le cas présent, il y a aussi une composante liée aux activités humaines, essentiellement le rejet de gaz à effet de serre. L’effet climatique de ces gaz qui s’accumulent dans l’atmosphère est de renforcer les conditions chaudes et en particulier les vagues de chaleur, et de diminuer la sévérité des conditions froides. Ainsi, il a été montré que les conditions observées en Arctique cette année 2020 auraient été quasi impossibles sans le facteur « activités humaines ».
En tant que climatologue qui travaille sur ce sujet depuis vingt ans, ce n’est pas une surprise ! En effet, nos projections anticipaient une émergence plus évidente de l’empreinte humaine sur le climat, un point d’inflexion, à partir des années 2020 et 2030. La région Arctique se réchauffe deux à trois plus vite que le reste de la planète mais mes collègues et moi sommes quand même impressionnés par ces records qui sont battus un peu partout et par la persistance de ces anomalies chaudes : je suis triste de le dire mais nous sommes en train de vivre ce que nous avions prévu…
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