Ces étranges parents des primates vivaient dans l’obscurité de l’Arctique il y a 52 millions d’années
Durant l’Éocène (il y a 56 millions à 33,9 millions d’années), époque marquée par l’apparition des mammifères évolués, la Terre était radicalement différente de ce qu’elle est aujourd’hui. Pour cause, notre planète subissait son épisode de réchauffement global le plus extrême jamais estimé, décrit notamment dans Science en 2019 : durant l’optimum de cette période, les températures moyennes sur Terre étaient de 29 °C, soit 15 de plus qu’actuellement. Des forêts tropicales recouvraient les moyennes latitudes et les calottes glaciaires étaient alors absentes des pôles.
L’Arctique était elle aussi méconnaissable, chaude et marécageuse. Et malgré ses conditions de vie ardues, elle aurait été en ces temps l’habitat de deux primatomorphes (Primatomorpha, des parents de primates), nous apprend une nouvelle étude publiée dans PLOS One le 25 janvier 2023. Les deux nouvelles espèces découvertes constituent les premiers exemples connus de cet ordre de mammifères vivants dans la zone, d’après les chercheurs.
Un croisement entre un lémurien et un écureuil
Cette révélation découle de l’analyse de mâchoires et de dents fossilisées, retrouvées sur l’île d’Ellesmere dans le nord du Canada, juste au sud de l’océan Arctique. Les deux nouveaux animaux identifiés appartenaient au genre éteint Ignacius, partie de l’arbre généalogique des primates qui s’est ramifiée avant que les ancêtres des lémuriens (Lemuriformes) ne divergent des ancêtres communs des grands singes et des humains. Ils ont donc reçu les noms d’Ignacius dawsonae et Ignacius mckennai. L’étude de leurs os révèle qu’ils étaient petits, pesant environ 2 kilogrammes chacun. Ils devaient ressembler à un croisement entre un lémurien et un écureuil, avec des yeux sur les côtés de la tête et des griffes à la place des doigts, imaginent les scientifiques.
Ce qui surprend toutefois ces derniers est que les parents modernes de l’I. dawsonae et de l’Ignacius mckennai font partie des mammifères les plus adaptés aux climats tropicaux et chauds. « Ils seraient donc les derniers mammifères que vous vous attendriez à voir là-haut, au nord du cercle polaire arctique », indique à LiveScience Christopher Beard, auteur principal de l’étude et spécialiste en paléontologie des vertébrés à l’Université du Kansas (États-Unis). Les découvertes paléontologiques antérieures avaient néanmoins déjà révélé que le climat de l’île d’Ellesmere pendant l’Éocène, semblable à celui de Savannah en Géorgie, était suffisamment hospitalier pour abriter un écosystème diversifié, parmi lesquels les premiers ongulés ou encore des crocodiles, des serpents…
Six mois par an dans l’obscurité du Nord
Mais si ces anciens habitants de l’Arctique n’avaient pas à faire face à des températures extrêmes, la vie n’était pas sans défis. L’inclinaison de l’axe de la Terre était telle que durant six mois de l’année, ils étaient confrontés à l’obscurité. Tout l’enjeu durant ces longs hivers, à la végétation susceptible de se raréfier, était alors de se nourrir. Les chercheurs suggèrent que les Ignacius auraient subsisté grâce à des graines et des écorces d’arbres, difficiles à mâcher. Une hypothèse qui expliquerait que leurs pommettes (et ainsi probablement leur mâchoire) aient été plus avancées que leurs parents découverts plus au sud. « Le résultat mécanique du déplacement de ces muscles masticateurs vers l’avant est que vous générez des forces de morsure plus importantes », explique Christopher Beard…
Lire la suite sur GEO