Nos ancêtres du Moyen Âge avaient-ils déjà décimé certaines espèces de baleines européennes ?
L’identification taxonomique des os de baleine découverts lors de fouilles archéologiques est problématique en raison de leur état généralement fragmenté. Cette difficulté limite la compréhension des distributions spatio-temporelles passées des populations de baleines et des premières activités de chasse à la baleine. Pour relever ce défi, les chercheurs ont réalisé une zooarchéologie par spectrométrie de masse sur un nombre sans précédent de 719 spécimens archéologiques et paléontologiques d’os de baleine provenant de sites de l’Europe atlantique, datant d’environ 3500 avant notre ère jusqu’au XVIIIe siècle. Ils se sont attachés à mesurer l’empreinte peptidique de la masse du collagène contenu dans les os en utilisant la spectroscopie de masse.
L’étude a mis en évidence la richesse des données écologiques historiques cachées dans les archives zooarchéologiques et paléontologiques des os des cétacés : les résultats montrent un grand nombre de spécimens de Balaenidae (dont beaucoup sont probablement des baleines franches de l’Atlantique Nord (Eubalaena glacialis)) et de baleines grises (Eschrichtius robustus), deux taxons qui ne sont plus présents dans l’est de l’Atlantique Nord. Cette découverte correspond aux attentes concernant l’exploitation passée des baleines franches de l’Atlantique Nord, mais elle n’était pas prévue pour les baleines grises, qui ont jusqu’à présent été rarement identifiées dans les archives zooarchéologiques européennes.
Nombre de ces spécimens proviennent de contextes associés à des cultures médiévales fréquemment liées à la chasse à la baleine : les Basques, les Espagnols du Nord, les Normands, les Flamands, les Frisons, les Anglo-Saxons et les Scandinaves. Cette association augmente donc la probabilité que la chasse à la baleine ait eu un impact sur ces taxons, contribuant à leur disparition et à leur extinction. Des nombres beaucoup plus faibles d’autres taxons de grands cétacés ont été identifiés, ce qui suggère que les baleines qui sont aujourd’hui les plus décimées étaient autrefois les plus utilisées.
On suppose que la chasse à la baleine pratiquée très tôt, surtout au Moyen Âge, par de nombreuses cultures le long des voies de migration potentielles a eu un impact sur les populations de ces deux espèces, qui ont dû être fréquemment ciblées à une certaine époque. Bien que la population de baleines grises de l’Atlantique Nord-Est ait pu être en déclin dès cette époque pour des raisons climatiques ou écologiques, il est suggéré que les cultures médiévales qui pratiquaient la chasse à la baleine ont porté un coup critique, contribuant ainsi à la première disparition d’une espèce de cétacés par des activités anthropogéniques. La baleine franche de l’Atlantique Nord a survécu plus longtemps dans l’est de l’Atlantique Nord. Elle était encore la cible des baleiniers au XXe siècle, mais ses effectifs avaient considérablement diminué au XVIIIe siècle, ce qui a conduit au début de l’ère moderne à l’expansion de la chasse à la baleine plus loin dans l’Arctique et dans le reste du monde.
La baleine grise et la baleine franche de l’Atlantique Nord ont peut-être été victimes d’une perception d’abondance naturelle illimitée, en raison de la facilité de la chasse et du nombre initialement élevé d’individus dans les eaux côtières lors des prémices et du développement de la chasse à la baleine en Europe. Une fois que la pratique de la chasse à la baleine a fixé le modèle de ciblage de ces taxons autrefois fréquemment rencontrés, ils ont ensuite été chassés jusqu’à l’extinction, indépendamment de la diminution de leur nombre.
Ce phénomène n’est pas sans équivalent dans les annales de l’exploitation des ressources humaines, qu’il s’agisse d’espèces marines ou terrestres/aviennes, citons par exemple la tourte voyageuse (pigeon voyageur), l’esturgeon européen et de la morue du Nord. Il a également été démontré que les morses de l’Atlantique (Odobenus rosmarus rosmarus) du Groenland médiéval avaient subi un sort similaire…
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Voir l’article original (van den Hurk et al., 2023) paru dans Royal Society Open Science