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ISSN : 2755-3755

Comment la carotte a révolutionné la climatologie

Publié le 29.04.2020 - Article de Anne-Sophie Boutaud (interview de J-R Petit) du 11/03/2020 dans CNRS Le Journal
Il y a 40 ans, une équipe française publiait une méthode inédite d’analyse des glaces polaires prouvant pour la première fois le lien étroit entre climat et cycle du carbone. Le glaciologue Jean-Robert Petit nous explique l’impact majeur qu’a eu cet article sur la recherche en paléoclimatologie

Le 13 mars 1980 paraissait dans la revue Nature un article publié par les chercheurs Robert J. Delmas, Jean-Marc Ascencio et Michel Legrand, qui fournit les premières mesures fiables de gaz à effet de serre piégés dans la glace. Que savait-on à l’époque ?

Jean-Robert Petit : Que le CO2 atmosphérique ait pu changer au cours des temps était déjà une hypothèse ancienne. Dès 1845, c’est un géologue français, Jacques Joseph Ebelmen, qui formule l’idée que les variations du CO2 atmosphérique peuvent induire des modifications de température à la surface de la Terre. Au tout début du XXe siècle, le chimiste suédois Svante Arrhenius va théoriser l’effet de serre, celui-ci pouvant être la cause des glaciations.

L’idée de mesurer la composition de l’air des bulles prisonnières de la glace remonte quant à elle aux années 1950. Toutefois, jusqu’alors, les mesures de contrôle réalisées aboutissaient à des teneurs trop élevées par rapport aux teneurs atmosphériques véritables. Avec la nouvelle méthode mise au point par Robert Delmas et ses deux étudiants, les mesures du gaz carbonique contenu dans les bulles d’air de la glace étaient enfin fiables.

Quelle était la spécificité de cette méthode ?

J.-R. P. : Robert Delmas travaillait à l’époque sur les sulfates, notamment sur les pluies acides dues aux émissions industrielles de soufre qui frappaient les forêts scandinaves. Il s’est alors penché sur la mesure de l’acidité de la glace polaire. Il découvrit que cette glace était naturellement acide, et que les contaminations par des poussières carbonatées pouvaient réagir avec cet acide en produisant du CO2 ; ce qui faussait les mesures. Sa méthode a donc consisté à broyer la glace sous vide à -40~°C pour en extraire l’air ; puis à analyser les concentrations des différents gaz par chromatographie.

Les concentrations en CO2 établies depuis grâce à cette technique, dite d’extraction sèche, se sont révélées en parfait accord les données atmosphériques collectées depuis 1958. Grâce aux carottes de glace prélevées en Antarctique, la composition de l’atmosphère passée est devenue accessible, révélant l’impact de la révolution industrielle et la croissance exponentielle qui se poursuit. La méthode décrite dans cet article fondateur a depuis été adoptée par tous les laboratoires.

L’article de Delmas marque donc un véritable tournant…

J.-R. P. : C’est même un big bang pour la communauté scientifique. L’article démontre pour la première fois que le CO2 dans l’atmosphère glaciaire était largement inférieur à la période chaude préindustrielle – environ 300 parties par million en volume (ppmv) contre 190 ppmv. Le cycle du carbone est donc lié au climat. Et la glace fournit un enregistrement fidèle : c’est le seul matériau qui piège puis conserve des échantillons de l’atmosphère passée.

Avant cela, la paléoclimatologie était le domaine de prédilection des océanographes. Les « archives climatiques » dont on disposait étaient essentiellement composées de carottes de sédiments marins. De fait, la mise au point de la technique de mesure par Robert Delmas et ses collègues, et ensuite la publication de trois papiers sur la carotte de Vostok en 1987, ont entrainé un nécessaire décloisonnement entre les disciplines et permis la mise en synergie de chercheurs qui, jusqu’ici, ne collaboraient pas ensemble…

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