Comment les yeux des rennes se transforment en hiver
Nul doute que leurs grands yeux sombres – au même titre que leurs bois majestueux et le souvenir de leur complicité magique avec le père Noël – ne sont pas pour rien dans l’amour qui leur est voué partout sur la planète.
Mais au-delà du regard empreint de douceur qu’ils leur confèrent, les yeux des rennes sont surtout le témoignage de leur grande adaptation à leur habitat enneigé, tout comme la seconde couche de fourrure qu’ils possèdent, ou leurs larges sabots en forme de croissant, qui garantissent leur stabilité et leur permettent de creuser efficacement la neige.
Nos travaux ont en effet révélé que les yeux de ces cervidés se transforment au fil des saisons, ce qui permet à leur vision de s’adapter à la faible lumière bleue du long crépuscule hivernal.
Le crépuscule, un moment si particulier
Dans les régions arctiques, les températures peuvent descendre en hiver jusqu’à -50 °C. À cette période, lorsque les paysages ne sont pas plongés dans l’obscurité nocturne, ils sont baignés d’une lumière crépusculaire, car le soleil se situe toute la journée sous l’horizon.
C’est justement au crépuscule que les rennes (Rangifer tarandus, aussi appelés caribous) partent en quête de leur repas de lichens. Abondants en Arctique, ces derniers constituent une source de nourriture idéale, car ils sont disponibles partout où les hardes se déplacent. Les rennes les découvrent en brossant le sol recouvert de neige avec leurs sabots, leurs bois et leurs museaux (le terme « caribou » pourrait d’ailleurs avoir été emprunté au peuple autochtone des Micmacs, qui appelaient le renne « xalibu », ce qui signifierait « bête qui pellette », ndlr).
À l’heure où le renne creuse pour trouver sa pitance, le loup, son prédateur, part lui aussi en chasse. Tous deux sont incroyablement bien adaptés aux conditions hivernales de l’Arctique, et notamment à la lumière si particulière qui nimbe ces régions à cette époque de l’année : extrêmement bleue, elle ne contient que très peur de vert, de jaune et d’orange.
Cette couleur bleutée est due au fait que le soleil darde ses rayons sous l’horizon. Au crépuscule, lorsque l’astre du jour est bas, ses rayons parcourent une grande distance à travers l’atmosphère, et traversent horizontalement la couche d’ozone. Or celle-ci agit comme un filtre : elle absorbe presque toutes les longueurs d’onde du spectre lumineux, à l’exception de la lumière bleue. Soulignons que la couleur bleue qui résulte de ce filtre ozonique est différente de celle que l’on observe dans le ciel par une belle journée ensoleillée, laquelle résulte des interactions entre la lumière du soleil et les molécules présentes dans l’atmosphère (on appelle ce phénomène diffusion de Rayleigh).
Bien que les artistes qualifient cette période si particulière de la journée d’« heure bleue », nous ne la remarquons généralement pas, car nos yeux s’adaptent à ce changement de couleur progressif. En effet, à mesure que l’obscurité avance, notre vision, qui reposait durant la journée sur des neurones spécialisés, les photorécepteurs de la rétine en cônes (impliqués dans la vision des couleurs), devient dépendante d’autres photorécepteurs plus sensibles, les photorécepteurs en bâtonnets (qui sont eux incapables de distinguer les couleurs).
En hiver, dans les régions polaires, le crépuscule peut durer plus du tiers de la journée. Confrontés à ces conditions particulières de luminosité, les yeux des loups et des rennes voient leur sensibilité améliorée par l’adjonction d’une sorte de « miroir », appelé tapetum lucidum (tapis brillant), situé derrière la rétine…
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