« Désormais, le réchauffement est irréversible »
Paris Match. L’activité des hommes est indiscutablement la cause des bouleversements climatiques, écrivez-vous dans le dernier rapport du Giec. Cela sonne-t-il, une bonne fois pour toutes, le glas du climato-scepticisme ?
Valérie Masson-Delmotte. Les connaissances scientifiques n’ont fait que s’affiner et le constat est clair : ce sont les activités humaines qui rajoutent des gaz à effet de serre, et ceux-ci piègent de la chaleur. Cette dernière s’accumule, devient responsable du réchauffement des océans, de la fonte généralisée des glaces et affecte le vivant. Sur la terre comme sous la mer. Par rapport à la fin du XIXe siècle, nous en sommes à 1,1 degré de réchauffement. Oui, nous estimons qu’il est dû à l’influence humaine : 80 % à 90 % proviennent des énergies fossiles, pétrole, charbon, gaz, de la déforestation, de la destruction de zones humides, du méthane issu de l’élevage des ruminants… La conséquence, ce sont des événements extrêmes, plus fréquents et plus intenses, des pluies torrentielles et des sécheresses, ici et partout. Si nous n’avions pas altéré le climat, la vague de chaleur en Europe de l’été 2019 n’aurait pas eu cette intensité. Les records de température se succèdent, amplifiés par les îlots de chaleur dans les villes. Dans toutes les parties du monde, on vit déjà avec des valeurs qui dépassent les seuils de tolérance, pour les écosystèmes ou les sociétés. Et ces phénomènes ne vont pas s’arrêter demain. Mais leur intensité dépend du niveau de réchauffement planétaire. Donc des choix que nous allons faire.
« Les extrêmes chauds, qui survenaient une fois tous les 50 ans, se produisent maintenant une fois tous les 10 ans en moyenne mondiale »
La Cop21 en 2015 avait été un succès, disait-on. Or, depuis cinq ans, jamais les températures n’ont été aussi élevées. Pourquoi ?
Cette conférence était le début d’un processus. Un cadre structuré où chaque pays met sur la table ses engagements, réactualisés tous les cinq ans. Avec des mécanismes de solidarité, car les responsabilités ne sont pas les mêmes partout. Certains ont un poids historique dans la situation actuelle, et une capacité plus grande à agir. D’autres sont particulièrement exposés et vulnérables. Ces derniers mois, les engagements des pays ont été révisés à la hausse. C’est une bonne nouvelle. Les scénarios pour le futur proche, de très fortes émissions de gaz à effet de serre, sont moins plausibles. Tant mieux. Néanmoins, les engagements pris en 2015 et réactualisés signifient malgré tout que les émissions vont stagner dans les prochaines décennies. Cela implique de dépasser, dans les vingt prochaines années, un réchauffement de 1,5 degré, associé à une augmentation très forte de risques majeurs. Les extrêmes chauds, qui survenaient une fois tous les cinquante ans, se produisent maintenant une fois tous les dix ans en moyenne mondiale. Ils seront plus fréquents dans un monde à +1,5 degré. Davantage encore au-delà. Les épisodes de fortes précipitations intervenaient une fois tous les dix ans en 1850-1900, leur fréquence a augmenté de 30 % aujourd’hui. Ce sera +50 % dans un monde à +1,5 degré et +70 % dans un monde à +2 degrés. Chaque fraction de réchauffement supplémentaire a des effets énormes, il faut bien le comprendre.
Malheureusement, le niveau d’ambitions et d’actions n’est encore pas suffisant. Si on abaissait maintenant fortement les émissions de gaz à effet de serre, nous aurions des bénéfices rapides sur la qualité de l’air, mais pas sur la dérive du climat. Pour cela, il faudrait attendre une vingtaine d’années. Il faut bien comprendre que le climat ne s’est pas encore ajusté. Les glaciers vont continuer à reculer pendant des décennies. L’échelle de temps pour l’océan profond est de plusieurs siècles. Pour le Groenland et l’Antarctique, de l’ordre de milliers d’années. Il y a des conséquences qui seront inexorables…
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