« En Arctique, la banquise fond plus vite que prévu et c’est une très mauvaise nouvelle »
C’est un symbole du réchauffement… qui prend l’eau. La climatologue française Céline Heuzé, maîtresse de conférences à l’université de Göteborg (Suède), alerte sur une fonte de la banquise arctique encore plus rapide que prévu, à travers deux études parues mardi dans la revue américaine Journal of Climate. Il s’agit d’une mauvaise nouvelle supplémentaire sur le front climatique, après les tristes records enregistrés en Antarctique ces dernières semaines et alors que les experts du Giec – le groupe d’experts chargé des principaux rapports de l’ONU sur le climat – sont réunis en Suisse cette semaine pour préparer la synthèse de leur sixième cycle de travaux entamé en 2015.
Que montre l’étude sur l’océan Arctique que vous avez dirigée ?
Ce travail avait pour but de vérifier, à l’aide d’observations, si les modèles utilisés par les experts du Giec pour faire leurs prévisions les plus récentes, à l’horizon 2100, étaient pertinents dans l’analyse du changement climatique en Arctique. Notre conclusion est malheureusement que non : ce qui se passe en réalité dans l’Arctique ne se passe pas comme dans les modèles. C’est une très mauvaise nouvelle. La fonte est bien plus rapide que ne le prévoyaient les scientifiques. La banquise a beau être un des symboles du changement climatique, les modèles ont du mal à décrire son évolution et donc à la prédire.
Quelle est aujourd’hui l’ampleur de cette fonte ?
Depuis les premières photographies satellites en 1979, la surface de la banquise a déjà diminué en moyenne de 9 % en hiver et de 48 % en été. Son épaisseur, elle, a chuté de deux tiers.
Votre deuxième article se penche sur les causes des prévisions du Giec. Que dit-il ?
Il montre qu’il n’y a aucun consensus concernant le futur de l’Arctique car il reste de trop nombreuses inconnues sur plusieurs points clés : la stratification des différentes couches d’eaux océaniques, notamment en fonction de leur température et de leur teneur en sel, et l’évolution des courants dans l’Atlantique Nord. Les modèles se contredisent, c’est un grand flou.
Les scénarios, très pessimistes, du Giec sont sous-estimés ?
Ils sont sûrement un peu trop optimistes. Le rôle de certains courants de l’Arctique en provenance de l’Atlantique est sous-évalué, car ils sont en réalité plus chauds et plus proches de la surface que dans les modèles. Ils entrent en contact avec la banquise et accélèrent sa fonte, même en hiver.
Pourquoi la fonte de la banquise, un des symboles du réchauffement, demeure-t-elle aussi mystérieuse ?
Parce qu’on manque d’expéditions et d’observations sur place pour alimenter les modèles. Cette carence a été aggravée par le manque d’accès aux données russes. Il faudrait pouvoir regarder l’océan en de nombreux points jusqu’aux plus grandes profondeurs, prendre des mesures de la température, de la salinité ou de la vitesse des courants jusqu’à 5 kilomètres sous la surface. Pour l’instant, on se contente d’observer l’Arctique en été, grâce à des bateaux, mais il nous manque des financements afin de pouvoir y multiplier les missions. Le rêve des climatologues est de savoir ce qu’il s’y passe, toutes les millisecondes, pour mieux comprendre le processus de réchauffement, des lents courants globaux aux turbulences…
Lire la suite de l’interview sur La Libre
Voir aussi l’article du 14/03/2023 paru sur Le Figaro (avec AFP)