Gerhard Krinner, glaciologue au CNRS : « En creusant la glace, on remonte le temps »
Gerhard Krinner est glaciologue. Directeur de recherche au CNRS, il a contribué à la rédaction du dernier rapport du GIEC.
Marc Cherki est journaliste au service Sciences du Figaro.
LE FIGARO.- Le One planet – Polar summit débute ce 8 novembre au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris . La fonte des glaciers polaires sous l’effet du réchauffement climatique a de nombreuses répercussions sur l’ensemble de la planète. Mais elle affecte aussi votre travail en tant que climatologue, Gerhard Krinner : les glaciers sont une réserve précieuse d’informations à votre disposition ?
Gerhard KRINNER.- C’est très simple : si vous avez un glacier, spécialement dans une région froide où ça ne fond pas, chaque année de la neige se dépose. Cette neige est essentiellement composée d’eau bien sûr, mais contient aussi d’autres éléments chimiques, et quand elle s’accumule petit à petit sur une calotte de glace ou sur un glacier en haute altitude, elle se transforme en glace, c’est-à-dire en neige comprimée avec des bulles d’air captives à l’intérieur.
Ce sont ces bulles d’air qui contiennent des informations extrêmement intéressantes : on peut retrouver l’air du passé grâce à ça. Il y a d’autres analyses, sans rentrer dans les détails, qui le permettent aussi : par exemple les isotopes de l’eau donnent des informations sur la température du passé… c’est extrêmement précieux, à condition qu’il n’y ait pas ou qu’il y ait très peu de fonte en été. Si vous avez de la fonte en été, il y a de l’eau qui percole et qui détériore tout le signal, toute la belle stratification qui s’est faite avec le temps.
C’est donc ça le principe : en creusant, on remonte le temps. D’où l’intérêt des forages dans les calottes de glace, en Antarctique ou dans le Groenland : on peut remonter jusqu’à 800.000 ans.
Au printemps dernier, le programme Ice Memory a lancé une nouvelle expédition au Svalbard pour faire des prélèvements dans le glacier Holtedahlfonna, à 1100 mètres d’altitude. Le vice-président de la Fondation expliquait qu’il faut faire vite, car le réchauffement climatique menace la qualité de ces informations glaciaires…
Marc CHERKI.- Oui, la fonte des glaciers est de ce point de vue une catastrophe. On espère trouver dans ces expéditions un matériau complètement gelé et, au Svalbard par exemple, on a trouvé de l’eau à 85 mètres de profondeur. Les scientifiques ont dû se déplacer, chercher d’autres endroits pour forer. Ils disent que l’expédition a été un succès, il faudra attendre les résultats pour le savoir, mais combien de temps encore pourra-t-on en faire ? D’autant que ce qui est intéressant, c’est de pouvoir faire une cartographie avec de multiples forages qui disent chacun les conditions spécifiques de l’endroit. Cette mémoire locale est importante pour documenter l’ensemble des glaciers.
Il y a urgence à faire ces forages, donc ?
Gerhard KRINNER.- C’est la raison pour laquelle on fait depuis longtemps ces forages, ces prélèvements de cylindres de glace que l’on appelle «carottes», et on en met une partie de côté, en Antarctique. Il y fait encore -50 degrés en moyenne annuelle à l’endroit où on les stocke, -20° ou -30° en été, donc on a encore un peu de temps là-bas avant que ces prélèvements ne fondent… Et on les stocke en profondeur pour éviter que le soleil ne les abîme. Ce sont des forages «patrimoine», et ceux qu’on réalise dans les différents endroits du monde sont envoyés en Antarctique pour constituer une sorte de centre d’archives…
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Cet entretien croisé est extrait de l’émission «Terre des Hommes» , sur Figaro TV Île-de-France. L’émission complète sur la fonte des glaciers sera diffusée dimanche 12 novembre à 21h.