Ils écoutent les glaciers bouger dans le cercle arctique
Ça y est, nous avons atteint le fond du glacier, qui se trouve à 327 mètres sous nos pieds. Après avoir foré dans la glace pendant 6 heures, notre jet d’eau chaude vient creuser dans les sédiments. Le tuyau qui le relie à la surface cesse de se dérouler et Thomas Schuler, le chef de notre projet de recherche, confirme que la base du glacier a été atteinte.
Je descends de l’hélicoptère et Coline Bouchayer, doctorante associée au projet, m’annonce la bonne nouvelle. Soupir de soulagement. John Hult, l’ingénieur du projet, et Svein Oland, un mécanicien de l’Institut polaire norvégien, sont particulièrement soulagés.
Nous avions essayé de réaliser la même opération au printemps dernier, mais les températures de -30 °C avaient gelé l’eau du système de forage, rendant impossible la poursuite de l’opération. Cette fois-ci, les moteurs qui fonctionnent encore apportent une odeur de diesel aux terres gelées qui nous entourent.
Notre objectif ici n’est pas de reconstituer les climats passés en extrayant des carottes de glace comme le font les missions en Antarctique ou au Groenland. Il s’agit plutôt d’explorer ce qui se passe à des centaines de mètres sous la surface, là où le glacier repose sur son lit de roches et de sédiments. C’est là que se joue sa stabilité, car l’eau de fonte venant de la surface s’y infiltre et agit comme un lubrifiant.
L’augmentation rapide des températures engendrée par le changement climatique cause une fonte accélérée des glaciers, ce qui pourrait déclencher de nombreuses instabilités glaciaires, comme le prévoit le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec).
Les tendances actuelles devraient entraîner un réchauffement d’environ +2,7 °C par rapport aux niveaux préindustriels d’ici à 2100, soit bien plus que la limite maximale de +1,5 °C recommandée par l’accord de Paris. De telles différences sont cruciales pour les glaciers. Ces baleines blanches qui semblent endormies peuvent se réveiller un peu trop soudainement, comme le montre le récent effondrement des glaciers dans les Alpes italiennes.
Le mouvement des glaciers (qui peut aller de quelques mètres à plusieurs kilomètres par an) est semblable à celui d’un fromage à pâte molle sur une planche inclinée : ils se balancent sur toute leur hauteur et rampent sous leur propre poids. Plus ils sont raides et épais (jusqu’à plusieurs kilomètres), plus ils s’écoulent rapidement vers les basses altitudes. Grâce à la fine couche d’eau qui se trouve entre la glace et leur lit rocheux, les glaciers peuvent doubler leur vitesse entre l’hiver et l’été. Si la plupart des glaciers bénéficient d’un cycle saisonnier stable, certains, dont le Kongsvegen, c’est-à-dire, la voie du roi, ont vu leur vitesse annuelle augmenter au fil des ans…
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