Jean Malaurie, l’avocat des peuples du Grand Nord
Le Grand Nord exerçait sur lui « une force d’appel si profonde qu’elle était devenue une obsession », martelait cet auteur d’une douzaine de livres, créateur de la collection « Terre humaine ».
Méfiant à l’égard des systèmes philosophiques et, selon son expression, « des grands mots en ‘ismes’, comme fascisme ou communisme », ce géographe de formation n’aimait pas les étiquettes.
Lui-même n’était pas réductible à une seule spécialité : était-il d’abord un explorateur ? Un scientifique ? Un aventurier ? Un écrivain ? Un éditeur ? Il a été tout cela à la fois.
Il a passé dix ans de sa vie entre le Groenland et la Sibérie, a écrit un livre fameux en hommage aux Inuits, « Les derniers rois de Thulé ».
Premier homme, avec l’Inuit Kutsikitsoq, à rejoindre en 1951 le pôle géomagnétique Nord (qui n’est pas le pôle Nord) en deux traîneaux à chiens, Jean Malaurie a dirigé la première expédition franco-soviétique en Tchoukotka sibérienne en 1990.
Il fut également le premier Occidental à découvrir, cette année-là, « l’allée des baleines », monument du nord-est sibérien d’esprit chamanique, ignoré jusqu’à son identification dans les années 70 par l’archéologie soviétique.
Grande figure du CNRS français, il a co-fondé au début des années 1990 l’Académie polaire d’Etat de Saint-Pétersbourg, chargée de former des élites chez les peuples transsibériens, dont il était président d’honneur à vie.
– Attaché au chamanisme –
Immense carcasse vigoureuse aux yeux plissés, mèches blanches et épais sourcils noirs jusqu’à un âge avancé, voix tonnante, Jean Malaurie était avant tout un « caractère », une « grande gueule » hyper énergique, ferraillant contre le déclin de l’Occident : « nos sens sont fatigués. A force de téléphones, de calculettes, nous sommes devenus des handicapés ».
Attaché au chamanisme, il regrettait qu’il lui soit parfois impossible « de faire comprendre que les +peuples premiers+ ont une pensée égale à la nôtre ».
« On peut être titré et sans culture, on peut être illettré et être cependant un sage », assurait-il.
Il expliquait ainsi son travail : « Je suis nomade, je flaire, je note tout puis je deviens sédentaire, citoyen parmi d’autres, vêtu d’une peau de bête ». Il parlait avec ferveur des périodes passées dans des igloos, à manger du poisson cru par -5° (et -30° hors de l’abri).
Jean Malaurie est né le 22 décembre 1922 à Mayence (Allemagne) où enseigne son père, dans une famille bourgeoise et austère. Il racontait qu’une traversée du Rhin gelé, effectuée tout gamin, a peut-être déterminé sa vocation pour le monde des glaces.
Résistant pendant la guerre, il suit à Paris des études de lettres et de géographie. Avec son maigre salaire d’attaché de recherche au CNRS, il part à Thulé, au nord-ouest du Groenland en 1950 en qualité de cartographe et géocryologue (spécialiste des minéraux).
– « Une référence » –
Ce séjour changera sa vie.
« Terre humaine » (ed. Plon) est née parce qu’il a été « bouleversé » en 1951 par l’implantation brutale d’une base nucléaire américaine : il a voulu mettre en garde contre le risque que la Terre ne soit plus, un jour, humaine. A son catalogue figure le « Tristes tropiques » de Claude Lévi-Strauss.
Croisant la géographie, l’ethnologie et l’histoire, Jean Malaurie a contribué à bâtir une nouvelle approche interdisciplinaire de l’étude de l’homme…
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Voir aussi l’article de Baudouin Eschapasse du 05/02/2024 sur Le Point