La Chine et les régions polaires (6/7) : ces débats géostratégiques qui parasitent la coopération en Arctique
La scène a lieu dans un spa, au bord d’un lac. À l’avant-veille du 11ème rendez-vous des huit ministres du Conseil de l’Arctique, début mai 2019 en Finlande, journalistes et organisateurs discutent de l’actualité régionale, bière Karhu à la main. Tradition oblige, les moins frileux vont par moments se baigner dans l’eau, que le retour printanier du soleil de minuit n’a pas encore pleinement dégelée. L’hospitalité, la convivialité, l’échange culturel et la mixité sont de mise, dans cet endroit de paix, de diplomatie, d’égalité, où la langue finnoise elle-même ne fait aucune différence entre les genres.
Nous sommes en Laponie, tout près de la paisible ville de Rovaniemi, juste au-dessus du cercle polaire. Le thème central des échanges, c’est le fil de l’actualité climatique, dont les régions les plus septentrionales de la planète sont le premier observatoire. Tout le monde est en effet réuni dans un but commun : participer à la réunion bisannuelle du Conseil de l’Arctique, qui doit comme à l’accoutumée mettre en exergue ces préoccupations presque unanimes. Témoignant de la conscience de leur nation, des confrères de la Télévision centrale de Chine, la CCTV, ont répondu présent.
Pour les Finlandais, la collation d’avant-meeting vise à faire découvrir leur culture, ainsi qu’à briefer les reporters sur la fin de leur présidence de deux ans à la tête de ce forum multilatéral, voué à la protection de l’environnement, au développement du Grand Nord ainsi qu’à la coopération scientifique régionale et internationale. Les hôtes s’apprêtent à transmettre le flambeau à l’Islande. Depuis les années 1990, la règle de bienséance est inchangée au sein du Conseil : lorsqu’une nation pénètre dans cet espace institutionnel, elle laisse ses visées stratégiques et militaires sur le palier.
À Rovaniemi, l’Amérique de Donald Trump dans tous les esprits
Cette année, l’inquiétude est néanmoins perceptible : les États-Unis, l’un des huit membres de plein droit du Conseil, ont en effet annoncé quelques jours plus tôt que le chef de leur diplomatie entendait prendre la parole de manière unilatérale avant les discussions. L’Amérique est incontournable. Mais les discours de ce type, dans le forum prédominant des régions du Grand Nord, ne sont pas d’usage. Et Mike Pompeo est membre d’une administration adepte de la « realpolitik », au mieux climato-fataliste, au pire climato-sceptique. Son propos risque de bouleverser l’agenda médiatique.
À Rovaniemi, on ose à peine évoquer le sujet : que diable le ministre de Donald Trump, président oscillant entre les figures du lion et du renard de Machiavel, va-t-il signifier à cette communauté unique au monde, à ses huit homologues de l’océan dont le puissant Russe Sergueï Lavrov, mais également aux délégués autochtones de trois continents pas moins, ainsi qu’à une multitude d’acteurs économiques et observateurs du monde entier ? Va-t-il, comme le confiera plus tard un participant à Asialyst, faire l’effet d’un « éléphant » déboulant dans le magasin de porcelaine ?
Dans le contexte ambiant de guerre commerciale sino-américaine, et de tensions Moscou-Washington, la publication quelques jours plus tôt d’un rapport du Pentagone sur les « développements militaires et de sécurité impliquant la République populaire de Chine », fait craindre une transposition des enjeux. Les Américains y ont glissé un « special topic » sur le Grand Nord, dont la première phrase pose le décor : « La Chine a accru ses activités et son engagement dans la région arctique, depuis qu’elle a obtenu le statut d’observateur auprès du Conseil de l’Arctique en 2013 »…
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