Recherches Arctiques

Actualités de la recherche scientifique
ISSN : 2755-3755

 » L’Arctique. A l’épreuve de la mondialisation et du réchauffement climatique « 

Publié le 20.12.2019 - Livre
L’Arctique, qui ne cesse de faire la Une de l’actualité géographique, est aussi au programme de géographie des khâgneux préparant le concours de l’ENS Lyon (session 2020). Trois de nos géographes, Sabine Dumont, Sonia Laloyaux et Jean-Paul Momont , ont donc posé quelques questions à Camille Tiano et à Clara Loïzzo, co-auteures du livre très utile intitulé "L’Arctique. A l’épreuve de la mondialisation et du réchauffement climatique", qui vient de paraître aux éditions Armand Colin

1) Peut-on parler d’une région arctique et avec quelles limites ?

L’Arctique désigne une vaste région entourant le Pôle Nord, formée par les extrémités septentrionales de trois continents (Asie, Amérique, Europe) entourant l’Océan glacial arctique. Mais ses limites sud sont relatives.
Il existe plusieurs limites conventionnelles pour délimiter l’Arctique : la limite astronomique du cercle polaire aux alentours de 66°33’au nord de laquelle on peut observer le soleil de minuit, la ligne de Köppen ou isotherme 10°C du mois le plus chaud (juillet), laquelle se confond plus ou moins avec la tree line ou limite boréale de l’arbre, ou encore la limite du pergélisol continu. La définition de la nordicité par le géographe québécois Louis-Edmond Hamelin présente l’avantage de combiner 10 critères, aussi bien physiques qu’humains (densité, variété de l’activité économique, desserte).
Il faut noter que ces limites sont dynamiques, mouvantes. Avec le réchauffement, les limites biogéographiques et climatiques « remontent » vers le Nord, entraînant une « contraction » de l’Arctique. De même, la « nordicité » d’un lieu peut se réduire, de sorte qu’on parle de « dénordification » pour les grandes villes de l’Arctique.
Il existe aussi un enjeu important dans la délimitation « administrative » des régions arctiques par chacun des Etats concernés, qui donne droit à des avantages particuliers. La Russie distingue ainsi un « Grand Nord » et un « Extrême Nord ».
L’emploi du terme de « région » pose aussi la question de l’unité de l’Arctique et de sa cohésion régionale. Et au-delà de quelques traits communs évidents, l’Arctique est avant tout un espace très divers (physiquement, culturellement, entre autres) et surtout très peu intégré à l’échelle régionale : chaque région arctique entretient plus de relations avec le centre de son Etat, plus méridional (la Sibérie avec la Russie européenne, le Groenland avec le Danemark, l’Arctique canadien avec Ottawa), qu’avec les autres régions de l’Arctique.

2) Comment les populations autochtones vivent-elles les transformations liées au réchauffement climatique ?

Il faut déjà signaler que les populations autochtones, minoritaires puisqu’elles représentent environ 12% des 4 millions d’habitants de l’Arctique, sont en situation d’injustice environnementale : en effet, bien qu’ayant fort peu contribué au réchauffement climatique, elles en subissent de plein fouet les effets, car leur mode de vie est davantage lié à l’environnement arctique.
Le réchauffement transforme ainsi les modes de vie : la fonte accrue de la banquise fait de la chasse une activité plus incertaine et plus dangereuse, et réduit également les sociabilités puisque la banquise est aussi un moyen de communiquer entre les communautés. Le réchauffement induit également de nouveaux risques (sanitaires, érosion littorale accélérée, fonte du pergélisol) et rend une grande partie des savoirs traditionnels inopérants. Ces bouleversements s’ajoutent à d’importants changements socio-culturels qui avaient déjà fragilisé les populations autochtones, comme la sédentarisation plus ou moins forcée et les politiques d’assimilation menées par les différents Etats, ou la forte perturbation des activités traditionnelles comme l’élevage des rennes par les Samis de Scandinavie ou les Nenets de Sibérie par les activités nouvelles comme l’exploitation gazière.
Pour autant, les autochtones s’adaptent, comme leurs ancêtres l’ont fait dans un environnement arctique de longue date changeant. Et le réchauffement peut également être source de nouvelles opportunités, avec le développement d’activités rémunératrices (royalties de l’exploitation minière ou pétrolière, écotourisme) ou encore la tribune médiatique que fournissent les grandes négociations climatiques pour les revendications autochtones sur le plan économique, culturel ou politique.

3) Peut-on affirmer que l’Arctique ne devient réellement stratégique qu’avec le réchauffement climatique ?

L’Arctique a déjà été, par le passé, une région stratégique. Outre la recherche des passages maritimes depuis l’époque moderne, la richesse des ressources arctiques en a tôt fait un espace convoité et intégré aux premières formes de la mondialisation, par exemple avec la traite des fourrures par la Compagnie de la Baie d’Hudson, ou encore avec la pêche baleinière et morutière au large de Terre-Neuve. Mais c’est surtout à l’époque de la Guerre Froide que les deux Grands, qui se font face de part et d’autre du Pôle Nord, militarisent l’Arctique, comme avec la DEW line, un système d’alerte radar déployé par les Etats-Unis de l’Alaska au Groenland en passant par le Grand Nord canadien. Il reste de cette période des héritages environnementaux catastrophiques en Arctique russe avec les contaminations radioactives nombreuses de la péninsule de Kola et de la Nouvelle-Zemble…

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