Le permafrost : des sols de l’Arctique aux modèles climatiques
Le permafrost, une bombe à retardement
Le pergélisol est, par définition, un sol perpétuellement gelé, et la composante invisible de la cryosphère. Dans ces régions arctiques, quand les températures chutent, le sol gèle en profondeur et devient imperméable. En zone de pergélisol, la couche superficielle (roche, sédiment minéral ou organique) représente une couche active qui se développe chaque été et regèle chaque hiver. Ces cycles de gel et de dégel façonnent les paysages de marécages des toundras, l’eau ne pouvant s’infiltrer en profondeur et restant donc à la surface.
Le pergélisol est un écosystème complexe, encore mal connu. Au-delà des cimetières de mammouths dont il regorge, le permafrost contient un grand nombre de composants. Riche en matière organique, il contient aussi de l’air, de l’eau, des bactéries et de la glace. Dans ce sol stratifié, plus le permafrost dégèle, plus la couche active gagne en épaisseur et plus les conséquences sont importantes tant sur le carbone organique, piégé en profondeur, que sur la dynamique du sol.
En effet, les régions de pergélisol contiennent deux fois plus de carbone que l’atmosphère. Elles sont considérées comme des « bio-réacteurs » de gaz à effet de serre (GES), notamment le CO2 et le méthane. Ces gaz sont, en particulier, produits par l’activité bactérienne du sol après le dégel ou relâchés par les lacs se formant lors des périodes de dégel. Ils entrent ainsi dans les cycles atmosphériques et climatiques. Les scientifiques estiment que la quantité de CO2 piégée dans le permafrost équivaut à quatre fois celle que les activités humaines ont émise depuis le milieu du XIXe siècle. Or, on mesure encore mal les différentes variations spatiales et temporelles de ces émissions. C’est pour ces raisons que le permafrost est qualifié par les climatologues de « bombe à retardement ».
Le pergélisol, une urgence climatique et humaine
Aujourd’hui, on estime entre 3 et 4 millions le nombre de personnes vivant sur la vingtaine de millions de km2 de pergélisol de l’hémisphère nord. Et ces régions se réchauffent beaucoup plus rapidement que le reste du globe ! L’augmentation des températures de l’air et du sol entraîne le dégel du pergélisol.
Des agglomérations entières, des infrastructures ont été bâties, parfois depuis plusieurs siècles, sur des sols qui autrefois étaient gelés en permanence. Or aujourd’hui ces sols dégèlent et se gorgent de boue. Coulées de boues, glissements de terrains : les risques naturels sont très importants. Les risques sont également industriels (miniers, pétrolier, gazier etc.) et aussi, bien évidemment, humains.
Le projet PEGS
L’objectif principal de ce projet multidisciplinaire est d’identifier les facteurs qui contrôlent la mobilisation de carbone organique et en particulier les émissions de gaz à effet de serre (méthane et CO2) qui résultent de la dégradation du pergélisol en Yakoutie centrale (Sibérie).
Dans cette région, les lacs de thermokarst se forment par le dégel du sol. Ils affectent les couches plus profondes et riches en glace. Les terrains thermokarstiques peuvent être affectés par des affaissements, la formation de cavités, une forte érosion, etc., à l’image des terrains karstiques plus communs dans les zones tropicales ou tempérées. Ils offrent un terrain d’expérimentation idéal. Le permafrost y est en effet parmi les plus épais et les plus riches en glace de la planète et c’est aussi l’un des plus anciens. En effet, lors de la dernière période glaciaire, culminant il y a environ 20 000 ans, contrairement au grand nord canadien, cette région de Sibérie n’était pas sous la calotte glaciaire et le pergélisol affleurait déjà.
Le projet combine des campagnes de mesure de terrain, des analyses en laboratoire et l’intégration de ces données dans des modélisations analogiques. Apportant son expertise, développée au Canada sur l’échantillonnage de CO2 et de méthane, le Dr Bouchard a initié le projet PEGS avec des collaborateurs des laboratoires LSCE, de GEOPS, de l’Alfred Wegener Institute à Potsdam, ou encore l’Institut du pergélisol à Yakoutsk. En 2018, le projet débute autour de quatre campagnes de terrain, au cours de chacune des saisons pour mesurer les concentrations de ces gaz et leur variabilité saisonnière dans les lacs. En effet, l’émission de gaz par le dégel du pergélisol n’est pas homogène. Il existe des variations spatiales et temporelles de ces émissions qui ne sont pas intégrées dans les modèles climatiques actuels. Obtenir des mesures fiables enregistrant ces variations et les inclure dans les rétroactions « permafrost/gaz à effet de serre/climat » est fondamental pour améliorer la fiabilité des modèles climatiques présents et futurs. C’est là le cœur du projet PEGS, qui s’achèvera en 2022…
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