Mathieu Boulègue : « L’Arctique est devenu primordial pour Moscou par son aspect sécuritaire »
L’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’Otan change-t-elle les équilibres de l’alliance, notamment dans son rapport à la zone arctique ?
C’est une évolution qui va donner beaucoup de maux de tête à tout le monde, particulièrement aux Russes. Ces deux adhésions ne constituent toutefois qu’un fait accompli pour le Kremlin, qui s’y attendait, et avait préparé ses plans de guerre en Ukraine comme si la Finlande et la Suède étaient vouées à devenir membres de l’Otan. Ce n’est pas parce que ces pays n’étaient, jusqu’alors, pas couverts par l’article 5 de l’Otan qu’ils n’étaient pas militairement dangereux pour Moscou. Ils étaient déjà indirectement sous la protection de l’Otan, sans en faire partie.
Moscou profite donc de ces deux adhésions pour alimenter sa propagande sur la menace de l’Otan, qui, à ses yeux, se renforce désormais dans cette zone.
Ces deux adhésions n’entraîneront donc pas en soi un changement de posture stratégique, mais il y aura des adaptations au niveau opérationnel et certainement une volonté de déstabilisation du côté russe.
En quoi l’Arctique est-il si important ?
Cette importance est mieux perceptible lorsqu’on fait pivoter la carte du monde en l’axant sur le pôle Nord. Cette région est devenue primordiale pour Moscou, d’abord en termes de posture. L’Arctique est aussi une zone d’intérêt primordial pour la Russie, par son aspect sécuritaire. Géographiquement, le territoire de la zone russe de l’Arctique s’étend ainsi de l’Europe jusqu’au Pacifique. Le continuum géographique et géostratégique est donc extrêmement vaste, ce qui n’est pas le cas d’autres pays arctiques.
Il faut ajouter à cela des perceptions sécuritaires fondamentalement biaisées, « à la russe », avec une logique de réinvestissement, voire de réenchantement de l’Arctique. Dans les années 90, il a, en effet, fallu tout refaire. Les installations soviétiques étaient tombées en désuétude, et ont été rebâties ou restructurées pour permettre une réappropriation de l’Arctique.
On parle bien sûr moins de l’Arctique en Europe de l’Ouest, et c’est normal, car il y a moins d’intérêts et d’avantages comparatifs que pour les autres pays de l’Arctique, c’est-à-dire les pays du nord de l’Europe ou d’Amérique du Nord.
L’intérêt véritable de l’Arctique est-il surtout militaire ou surtout économique ?
Il est tout à la fois. Sur le plan économique, il faut d’abord voir l’Arctique comme une zone d’extraction de ressources hydrocarbures, qui représentent entre 12 et 14% du PIB russe. C’étaient en tout cas les chiffres avant la dégradation du marché énergétique. Cela dit, le PIB est fictif, car il est indexé sur le baril de pétrole en dollars.
L’économie russe est, en réalité, une boîte noire. Son budget est dévoilé dans un dossier de 10.000 pages, tous les deux ans, et est très compliqué à déchiffrer. À partir des années 2010, la priorité a été de faire de l’Arctique une nouvelle base de l’énergie russe, grâce aux technologies occidentales et à la stabilité des prix, dans un contexte sans sanctions. Ce plan est évidemment tombé à l’eau pour les raisons que l’on connaît.
Pour Moscou, la deuxième logique a été de dire que l’Arctique allait devenir le nouveau corridor de transit de la Russie, et donc de l’humanité, grâce à la route du nord, qui est maintenant de plus en plus remise en question par l’impact du changement climatique. La Russie s’est approprié ce passage, mais aussi ce qui constitue une extension de son territoire, par exemple, au pôle Nord où elle a planté son drapeau en s’appropriant une zone économique exclusive, qui est contestée au niveau du droit de la mer… C’est une zone que plus personne ne veut exploiter à l’échelle internationale en raison des tensions, mais également des exigences russes en matière administrative pour y accéder…
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