Piège de glace : l’un des plus grands mystères de l’Arctique
Aucun survivant n’a pu raconter leur épopée et aucun écrit détaillé du cauchemar qu’ils ont vécu n’a été retrouvé. Cette page blanche de l’histoire, que l’on appelle communément le « mystère Franklin », entretient les spéculations depuis plus de cent soixante-dix ans. Elle a également donné naissance à des générations de fervents « franklinistes », obnubilés par l’idée d’assembler les pièces de ce puzzle.
Au fil des années, je suis devenu l’un d’eux. J’ai lu tous les livres sur le sujet, je me suis imaginé en membre de l’équipage condamné et j’ai réfléchi aux nombreuses questions restées sans réponse : où Franklin a-t-il été enterré ? Où sont les journaux de bord ? Des Inuits ont-ils tenté d’aider les marins ? Et si quelques-uns s’en étaient tirés malgré tout ? Au bout du compte, je n’ai pas pu résister à la tentation d’aller chercher des réponses moi-même. J’ai donc entrepris d’adapter le Polar Sun pour les eaux où ont navigué l’Erebus et le Terror. J’espérais aussi finir le voyage inachevé de Franklin : entrer côté Atlantique dans le dédale de détroits et de baies formant le passage du Nord-Ouest et ressortir de l’autre côté du continent, au large de l’Alaska.
Reste que, au bout de presque 3 000 milles marins – environ la moitié du périple –, l’immersion dans le « mystère Franklin » est devenue un peu trop réelle. Si le Polar Sun était prisonnier des glaces, je risquerais de le perdre. Et, quand bien même nous réussirions à débarquer, il serait difficile d’organiser notre sauvetage. Sans parler du fameux ours polaire.
Quand Sir John Franklin largua les amarres, les Britanniques cherchaient le passage du Nord-Ouest depuis trois siècles. Chaque expédition repoussait un peu plus les limites, tandis que les boussoles se déréglaient davantage à l’approche du nord magnétique. Les navires finissaient souvent piégés par la banquise durant l’interminable nuit polaire. Nombre d’expéditions eurent une issue tragique, mais jamais aussi spectaculaire que celle de Franklin. Selon la version britannique des faits, ses navires furent aperçus pour la dernière fois au large du Groenland par des baleiniers en juillet 1845. Un indice capital émergea quatorze ans plus tard. Une expédition privée, financée par la veuve de Franklin, trouva un message dans un tube en métal à la pointe Victory, dans le nord de l’île canadienne du Roi-Guillaume.
Il s’agit là du plus important témoignage écrit de l’expédition Franklin à nous être parvenu. Le message comporte deux parties. La première, datée de mai 1847, indique que l’Erebus et le Terror se sont retrouvés piégés dans la banquise huit mois plus tôt, à 15 milles marins au nord-ouest de l’île du Roi-Guillaume. Elle se termine par : « Sir John Franklin commande l’expédition. Tout va bien ».
La seconde partie a été ajoutée moins d’un an plus tard pour noter l’abandon des navires en avril 1848 et la mort de quinze hommes et de neuf officiers, dont Franklin, décédé deux semaines après la rédaction du premier message. Les survivants, selon la fin du mot, désormais sous les ordres de Francis Rawdon Crozier, allaient tenter de marcher jusqu’au comptoir commercial le plus proche de la Compagnie de la baie d’Hudson, à un millier de kilomètres au sud. S’il y avait une once d’espoir à tirer de ce message, cela tenait au fait que Francis Rawdon Crozier avait plusieurs explorations arctiques à son actif. Il avait déjà survécu à une expédition prisonnière des glaces et avait passé du temps avec les Inuits, qui l’avaient surnommé Aglooka (« Grand marcheur »)…
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