Quand la guerre en Ukraine bouleverse la coopération en Arctique
Mourmansk, à l’extrême nord-ouest de la Russie, le 1er octobre 1987. À l’époque, en pleine Guerre froide, la région arctique est l’une des zones les plus nucléarisées du monde ; et Mourmansk, la base militaire la plus importante de la flotte russe. Pourtant, Mikhaïl Gorbatchev, alors dirigeant de l’Union soviétique, y prononce un discours qui posera les bases de plus de trois décennies de coopération pacifique dans l’Arctique. « Que le nord de la planète, l’Arctique, devienne une zone de paix. Que le pôle Nord devienne le pôle de la paix », clame-t-il.
Ainsi naît le mythe de « l’exception arctique », une idée selon laquelle le Grand Nord serait une zone où les perturbations extérieures ne nuiront jamais à la coopération entre États riverains, résume l’Institut français des relations internationales (Ifri). Dans sa lignée se crée en 1996 le Conseil de l’Arctique, réunissant les pays possédant des territoires dans le cercle arctique – le Canada, le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Suède, la Russie et les États-Unis, mais aussi des représentants des peuples autochtones de la région, des ONG et plusieurs pays observateurs, dont la France. Ce forum intergouvernemental a pour but de promouvoir « les aspects environnementaux, économiques et sociaux du développement durable dans la région » ; les questions militaires ont été exclues de ses compétences.
Jusqu’à récemment, rien n’a su ébranler cette « exception arctique ». Et, si l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 a marqué une première « rupture dans l’évolution diplomatique et sécuritaire de la région », estime Florian Vidal, les pays arctiques ont néanmoins « continué de coopérer, avancer ».
Mais le 24 février dernier, le choc de la guerre en Ukraine s’est propagé dans le monde entier jusqu’à totalement bouleverser ce fragile équilibre en place au-delà du 66e parallèle nord. « C’est une crise unique depuis la Guerre froide« , soutient le chercheur au Centre Russie/NEI de l’Ifri. « La rupture est définitive et consommée ».
L’isolement de la Russie paralyse la coopération en Arctique
Au début du mois de mars, les États membres du Conseil de l’Arctique (sauf la Russie) ont publié une déclaration commune condamnant l’invasion de l’Ukraine et soulevant « les graves obstacles à la coopération internationale, y compris dans l’Arctique, que les actions de la Russie ont causés ». Une première depuis sa création : le Conseil suspend ses activités. Le 8 juin dernier, il annonce les reprendre, mais de manière « limitée », « dans le cadre de projets qui n’impliquent pas la participation de la Fédération de Russie ».
D’autres organismes de coopération régionale, comme le Conseil euro-arctique de la mer de Barents ou le Conseil nordique, ont eux aussi mis en pause leur collaboration avec la Russie. La guerre en Ukraine « a aussi créé une division entre les États, mais aussi entre les peuples », note Emilie Canova, doctorante en Études polaires à l’Université de Cambridge et directrice du programme arctique du Groupes d’études Géopolitiques. Au sein même du Conseil sami, il s’est opéré une scission entre les peuples autochtones samis de Norvège, Suède et Finlande, et les Samis russes de la péninsule de Kola, « créant des divisions très concrètes au quotidien »…
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