Réchauffement climatique : le Giec doit-il continuer de produire des rapports pour pousser à l’action politique ?
« Le Giec pourrait fermer boutique. Pas besoin d’un septième puis huitième rapport. On a fait notre boulot. » C’est le message lancé par le climatologue Pierre Friedlingstein, sur Twitter, lundi 20 mars, jour de la sortie de la synthèse du sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Au téléphone, l’intéressé précise son propos « un peu provocateur ». « Nous connaissons les informations de premier ordre sur le réchauffement climatique et elles sont suffisantes pour agir. Les décideurs politiques n’ont pas besoin de la deuxième ou de la troisième virgule après la décimale sur le niveau de réchauffement pour prendre des mesures », développe-t-il.
Tout en reconnaissant la « mine d’or scientifique » que constituent ces rapports, Pierre Friedlingstein craint qu’ils ne servent « d’excuse à l’inaction », que les gouvernements continuent « d’attendre le prochain rapport avant de s’engager ». C’est la réaction « on patiente et on avise » mise en scène dans le film Don’t Look Up : plutôt que de prendre des mesures immédiates face à la comète qui se dirige droit sur la Terre, les autorités préfèrent attendre de nouvelles études.
De fait, les émissions mondiales de gaz à effet de serre, provoquées principalement par la consommation de charbon, de pétrole et de gaz, n’ont cessé d’augmenter depuis la publication du premier rapport du Giec en 1990. En 2023, ces experts ne peuvent que constater que « le rythme et l’ampleur des mesures prises jusqu’à présent » restent « insuffisants pour s’attaquer au changement climatique ».
Une synthèse des connaissances scientifiques
L’économiste suisse Julia Steinberger, très critique du manque d’actions contre le changement climatique et qui a participé à des blocages de route à l’automne 2022, juge à l’inverse que le travail du Giec reste nécessaire. Ces experts ne produisent pas de nouvelles recherches mais compilent et évaluent la solidité des études existantes pour en faire la synthèse. « Aujourd’hui, il y a un nombre exorbitant d’articles qui sortent sur le climat. C’est impossible pour une personne de prendre connaissance de tout ce qui se passe », rappelle Julia Steinberger, qui a participé au sixième cycle d’évaluation.
Sophie Szopa, chimiste de l’atmosphère et co-autrice du rapport du Giec, estime également qu’il y a encore « beaucoup à faire » pour affiner les connaissances sur le changement climatique. « Nous ne pouvons pas avoir de solutions correctement dimensionnées si nous ne savons pas de manière précise quels vont être les changements physiques », argumente-t-elle. Candidat à la présidence du Giec, le climatologue belge Jean-Pascal van Ypersele considère lui que « le Giec pourrait aussi analyser davantage les raisons de l’action insuffisante et les obstacles à une plus grande ambition ».
Figure du Giec depuis 2015, la climatologue Valérie Masson-Delmotte insiste de son côté sur les incertitudes qui demandent davantage de recherches : la perte d’efficacité des puits de carbone – la végétation et les sols captent une partie de nos émissions de gaz à effet de serre mais le réchauffement climatique risque d’affaiblir cette capacité – et la fonte de l’Antarctique de l’Ouest, qui pourrait être plus rapide que prévu. « Nous avons encore des incertitudes très fortes sur ce point de bascule », explique celle qui quittera l’institution cette année.
Une façon de mettre le climat à l’agenda politique
En dehors de la sphère scientifique, Anne Bringault, coordinatrice des programmes pour le Réseau action climat, voit dans les rapports du Giec « un travail extrêmement important ». « Nous nous appuyons toujours dessus pour interpeller les politiques. Ces rapports créent aussi un moment dans l’agenda public, où on peut se poser et regarder cette question du changement climatique. Ils ont un rôle mobilisateur », poursuit-elle. La militante associative aimerait cependant que les prochains rapports soient encore plus axés sur les solutions : « Ce serait intéressant d’avoir des retours d’expérience sur ce qui est mis en place », à un rythme plus fréquent, suggère-t-elle.
Lors de son sixième cycle d’évaluation, le Giec a publié une série de rapports « spéciaux » (thématiques), sur les différences entre un réchauffement de +1,5°C et +2°C, sur l’océan et la cryosphère ou sur les terres, en plus des rapports classiques sur les causes, les conséquences et les solutions. « Nous sommes nombreux à penser qu’il devrait y avoir essentiellement des rapports spéciaux dans les prochaines années, avec juste une mise à jour régulière de certains chapitres des rapports classiques », propose Sophie Szopa…
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Voir aussi l’interview de Valérie Masson-Delmotte publiée le 20/03/2023 sur Franceinfo (propos recueillis par Thomas Baïetto)