Récit : l’énigme de l’Erebus
Il aurait pu connaître un destin ordinaire, une vie de surveillance des intérêts britanniques en Méditerranée, au lendemain des guerres napoléoniennes. Une vie sans fioriture, sans heurts, sans accrocs, mais sans gloire, au côté de son frère, baptisé Le Terror. Mais l’Erebus – son nom provient d’une divinité grecque des ténèbres – connaîtra une vie d’aventure et de prestige, avant de finir tragiquement à la recherche du passage du Nord-Ouest, au coeur de l’Océan glacial Arctique.
Bâti en 1823 dans les chantiers britanniques de Pembroke, l’Erebus est le dernier vaisseau de guerre de sa catégorie, la Bombarde… Il n’a rien d’impressionnant, n’a rien d’un foudre de guerre, mais il est robuste et maniable. Il va conduire l’un de ses capitaines, James Clarck Ross, au firmament des explorateurs maritimes et un second, John Franklin, au rang de martyr de sa majesté.
L’infranchissable barrière
Le premier, Ross, gagne ses titres de noblesses en menant l’Erebus, toujours accompagné du Terror, jusqu’en Tasmanie, avant de mettre le cap ver le pôle Sud. Une expédition longue de quatre ans, loin des femmes et des enfants, avec un équipage confiné, mais qui s’avère fidèle et loyal. Le jeu en vaut la chandelle : Ross et ses hommes naviguent jusqu’au point le plus au sud jamais atteint alors par un homme.
Nous sommes en 1841 et il gagne le droit de nommer quelques points remarquables de cette zone, tels le Cap Crozier (en hommage commandant du Terror), l’Ile Franklin ou encore le Mont Erebus, volcan d’Antarctique culminant à 3.794 mètres. L’explorateur Jean-Louis Etienne y passera en 1993. Il pourra ainsi admirer la Mer de Ross, ainsi que la vertigineuse Barrière de Ross, infranchissable pour les hommes de l’Erebus. Large de 800 kilomètres, sa superficie approche celle de la France.
Le second, John Franklin, est chargé quelques années plus tard de tenter de percer une autre voie, alors infranchissable en raison des conditions climatiques. Il doit trouver un passage via la Baie de Baffin, entre l’Ile Beechey et l’île du Prince de Galle, pour rejoindre la Mer de Beaufort. Il n’est plus tout jeune (60 ans), mais porte sur ses épaules tout l’espoir d’une Nation. Ami de Ross, il lui succède comme pacha de l’Erebus. L’aventure s’annonce belle, les cales chargées de nourritures (dont de précieuses boîtes de conserve) et malgré une mer agitée sur la route du Groenland, Franklin et ses hommes (dont Crozier) ne doutent pas de leur capacité à vaincre la route du Nord-Ouest.
L’aventure, c’est l’aventure
« L’Erebus », c’est d’abord un superbe récit d’aventures, à l’époque des grands explorateurs. On suit avec délectation les découvertes menées par Ross, en Arctique puis en Antarticque, d’Hobart, aux Iles Malouines en passant par Rio. On souffre avec eux du froid (mais pas de la faim) de l’ennui parfois et l’on s’émerveille des paysages qu’ils abordent.
Son auteur n’est pas un inconnu, même si le grand public ne l’attendait pas dans ce registre. Il s’agit de Michael Palin, l’un des célèbres Monty Python. Le comédien (Sir Galahad The Pure dans «Sacré Graal», entre autres) est depuis devenu réalisateur de documentaires pour la BBC. Et son ouvrage « l’Erebus » est aussi conçu comme tel. Il fait découvrir au lecteur la vie en mer, mais aussi sur terre, de Ross, de Franklin et des 133 marins qui les accompagnent (dont un naturaliste qui a la fâcheuse tendance à tirer sur tous les oiseaux qui passent à côté de lui). Il n’oublie d’ailleurs pas de ponctuer ses notes savantes et riches de détails par quelques remarques à l’humour très britannique.
Sur la trace de l’Erebus et du Terror
Palin a eu accès à des dizaines de documents, de correspondances, permettant de vivre les plus beaux moments de ces expéditions… et presque les derniers moments, tragiques, de l’Erebus et du Terror. Il a été jusqu’à suivre les traces des deux bateaux de sa Majesté en ce rendant à Hobart, aux Malouines, jusqu’à la Baie de Baffin, à bord d’un brise-glace russe. Palin se fait ensuite presque détective pour essayer de comprendre ce qui arriva aux deux bombardes et à leurs équipages. Le documentaire se transforme presque en enquête policière. La carcasse de l’Erebus sera retrouvé en 2014, celui du Terror en 2016.
« L’Erebus » de Michael Palin a tout d’un voyage initiatique et savant, palpitant et tragique. Idéal pour briser la monotonie du confinement, à la découverte des derniers espaces sauvages de la planète. Pour suivre la vie, la mort et la résurrection d’un navire au destin presque aussi fascinant que celui du Titanic.