Sur les Îles Féroé, des Scandinaves pas comme les autres
Des cris de joie retentissent face aux eaux profondes du fjord de Vágur. Dans un flot d’écume, un lourd canot de bois blanc et rouge vient de franchir la ligne matérialisée par deux bouées. « Médaille d’or ! », exulte Hansina Finnsdóttir Joensen au côté de son fils Filip, 16 ans, l’une des vedettes du jour. La victoire est célébrée dans un rugissement collectif : les six rameurs et leurs familles soulèvent l’embarcation de 200 kilos vers un ciel où guerroient brume et soleil. Pour témoins, des montagnes striées de basalte noir dévalant jusqu’au port, une poignée de maisons coiffées d’un toit d’herbe et une ribambelle de hangars à bateaux ourlant le fjord.
Les Îles Féroé, un archipel singulier
« On ne le pratique qu’ici », explique Hansina, venue du lointain nord de l’archipel pour cette journée de compétition. « Autrefois, bien avant les ferrys et les routes, ces barques étaient la seule façon de circuler d’une île à l’autre ». Comme la foule massée sur les berges, elle a fait deux heures de ferry pour rejoindre Suðuroy, la plus méridionale des îles Féroé, lame de roche posée sur les flots de l’océan Atlantique. Ces courses de kappróður, les Féringiens (ou Féroïens) n’y renonceraient pour rien au monde.
La vie sur leurs 18 îles, à mi-chemin entre Islande et Norvège , est ainsi tissée de singularités farouchement défendues. Province autonome du Danemark depuis 1948, l’archipel de poche –1 393 kilomètres carrés, à peine plus que le Val-d’Oise –, non rattaché à l’Union européenne, a ses propres lois, son drapeau, sa monnaie (la couronne féroïenne) et sa langue, le féringien, qui résiste avec vigueur aux incursions de l’anglais et du danois.
La nature toute-puissante et le climat tempétueux ont façonné cette société miniature de 54 000 personnes, fière de son taux de chômage parmi les plus bas d’Europe (0,7 % contre 6 % en moyenne dans l’Union européenne) et de sa criminalité quasi inexistante, mais aussi réputée pour son conservatisme, qui lui vaut une place à part dans le très progressiste et égalitariste monde scandinave.
Le tricot, une affaire d’État pour les Féringiens
À quoi ressemble le quotidien de ces lointains Féringiens, tant attachés à leur culture et à leur exception ? Gunvør Reyðberg s’en amuserait presque : elle a tous les attributs de l’«épouse féringienne», l’ironie en prime. Cette fleuriste de 40 ans est en effet la femme d’un marin qui part en mer pour des missions de plusieurs semaines et la mère de trois enfants.
Ce soir-là, elle a donné rendez-vous à son club de tricot dans sa maison d’été de Kunoy, hameau esseulé de l’île du même nom. Là, quelques maisons de poupée aux toits de mousse et aux flancs de bois se tiennent chaud en bord de fjord, encerclées par un cirque de basalte où le sautillant huîtrier pie, l’oiseau national, protège ses nids de ses cris flûtés. Le club de tricot se réunit une fois par mois… depuis que ses membres ont 9 ans. Car dans ce pays d’élevage où les moutons (75 000 têtes) sont plus nombreux que les hommes, la laine tisse le lien social. Les petits Féringiens, filles et garçons, apprennent le maniement des aiguilles dès l’école…
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