Recherches Arctiques

Actualités de la recherche scientifique
ISSN : 2755-3755

Un lac sibérien questionne le cycle du méthane dans les écosystèmes arctiques

Publié le 20.04.2020 - Actualité du CNRS-INSU du 11/03/2020
Une étude intégrant biogéochimie, isotopie et microbiologie a montré que, dans un lac sibérien, l’oxydation du méthane dans la colonne d’eau consommait intégralement le flux issu des sédiments. Ce résultat est majeur pour l’évaluation de la rétroaction des écosystèmes aquatiques au changement climatique. Cette étude publiée dans Scientific Reports a mobilisé un consortium international incluant des chercheurs du laboratoire Ecologie fonctionnelle et environnement (ECOLAB – CNRS / Univ. Toulouse Paul Sabatier / Toulouse INP) et de l’Institut Méditerranéen d'Océanologie (MIO – Univ. Toulon / CNRS ; Univ Aix-Marseille / IRD), dans le cadre du projet ERANET-LAC Methanobase

L’amplification des effets du changement climatique en Arctique conduit à une accélération de la fonte du permafrost, qui se traduit par différentes modifications des paysages et des écosystèmes. Une des conséquences est la formation de zones humides et de lacs thermokarstiques, qui constituent potentiellement de puissants émetteurs de gaz à effet de serre tels que le méthane, provenant de la fermentation de matière organique du permafrost. En effet, à l’échelle globale, les lacs et zones humides sont responsables de 70% des émissions de méthane d’origine naturelle. En particulier, les lacs boréaux représentent 26% des émissions totales de méthane à partir de lacs.

Dans les lacs, il est communément admis que le méthane est produit par les sédiments anoxiques, puis transporté à travers la colonne d’eau (par diffusion ou ébullition), où il est oxydé en conditions oxiques avant d’être émis à l’atmosphère. Toutefois, cette vision du cycle du méthane est actuellement en pleine (r)évolution, avec des études montrant que le méthane peut être produit en zones oxiques, et –inversement- oxydé en zones anoxiques. Les mécanismes métaboliques et les acteurs microbiens impliqués ne sont pas encore bien connus, et ces processus ne sont pas encore pris en compte dans les bilans globaux d’émissions de méthane. Il est crucial de les étudier pour évaluer la rétroaction potentielle de la fonte du pergélisol sur le changement climatique.

Dans ce contexte, le projet ERANET-LAC Methanobase (2015-2018), co-dirigé par Maialen Barret (INPT, EcoLab, Toulouse) et Léa Cabrol (IRD, M.I.O Marseille) et réunissant un consortium pluridisciplinaire de chercheurs de 8 pays, se proposait d’étudier la diversité microbienne impliquée dans le cycle du méthane dans les tourbières, lacs et zones humides des hautes latitudes les plus exposées au changement climatique (Sibérie, Alaska, Patagonie subantarctique). L’implication cruciale du Melnikov Permafrost Institute a rendu possible la campagne de terrain en Sibérie. L’article de Thalasso et al. paru récemment dans Scientific Reports et présenté ici s’inscrit dans le cadre de ce projet collaboratif, et s’intéresse plus particulièrement à un lac fortement stratifié sous influence thermokarstique, au Nord de la Sibérie.

Des concentrations en méthane et dioxyde de carbone dissous mesurées in-situ par spectroscopie laser (M-ICOS, LGR) selon une méthode ultra-sensible et haute-résolution développée par les partenaires du projet ont révélé des profils atypiques, dus à l’absence totale de méthane dans une couche d’eau d’environ 4~m, largement en dessous de l’oxycline. Les flux de méthane entre les différentes zones du lac calculés par un modèle de diffusion-réaction, et l’analyse des isotopes stables du carbone inorganique et du méthane, ont permis de démontrer que l’intégralité de l’important flux de méthane généré par les sédiments était effectivement éliminé par oxydation dans l’hypolimnion anoxique du lac, sans qu’il ne puisse atteindre l’atmosphère. La quantification des gènes microbiens responsables de la production et de l’oxydation du méthane a confirmé que le pic d’oxydation avait lieu en absence d’oxygène, et que cette oxydation était d’origine microbienne, via la voie métabolique de la monooxygénase particulaire du méthane. Ces résultats soulignent le rôle de l’hypolimnion de ce lac comme puits de méthane, et conduisent à attribuer la faible teneur de méthane en surface (émis à l’atmosphère) à une origine non-sédimentaire, probablement généré in-situ en aérobie ou transporté depuis les écosystèmes terrestres adjacents.

Cet article a d’importantes implications pour l’identification de l’origine du carbone émis par les lacs arctiques et pour l’estimation des bilans globaux d’émission de méthane dans ces écosystèmes sensibles aux changements globaux. Il questionne les mécanismes mis en jeu, l’identité des microorganismes responsables, et l’ampleur du phénomène dans d’autres écosystèmes arctiques.

En poursuivant votre navigation, sans modifier vos paramètres, vous acceptez l'utilisation et le dépôt de cookies destinés à mesurer la fréquentation du site grâce au logiciel Matomo. Pour plus d'informations, gérer ou modifier les paramètres, vous pouvez vous rendre sur notre page de politique de confidentialité.
OK
Modifier les paramètres