Une chimiste en Arctique pour comprendre la fonte du pergélisol
Sous une falaise en surplomb, Aude Flamand donne des coups de pioche pour échantillonner des morceaux de glace. Puis, elle installe un seau sous le sol qui fond goutte à goutte. Mais après 12 heures de collecte, la falaise s’effondre en détruisant le précieux butin. Par chance, la chimiste n’était pas en dessous.
Avec les changements climatiques, le paysage change rapidement dans l’Arctique canadien. Au point de parfois saboter des échantillonnages scientifiques en l’espace de quelques jours ou de quelques heures. Aude Flamand l’a appris à ses dépens lors de son séjour dans les Territoires du Nord-Ouest cet été, dans le cadre de sa maîtrise en océanographie à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski (ISMER). L’étudiante est revenue les mains vides d’une expédition scientifique de plusieurs jours en bateau. Elle espérait échantillonner certaines falaises côtières où affleure le pergélisol — cette couche de sol gelé en permanence pendant au moins deux ans. Sur les lieux, une grande quantité de pergélisol avait fondu, créant une mare d’argile au pied des falaises empêchant toute avancée à pied ou en embarcation — sa collègue y a même perdu une botte à jamais. Alors que le Nord se transforme à grande vitesse, l’étudiante a embarqué dans cette course contre la montre, enclenchée pour collecter des données et sensibiliser le monde sur ce qui est en train de se passer.
Le destin du pergélisol dans les océans
Au thermomètre ce jour-là, il fait 28 °C. Des gouttes d’eau et des morceaux de boue dégoulinent le long d’un gros bloc d’argile. Sur son blogue Une chimiste en Arctique, Aude Flamand indique la vitesse de dégel du pergélisol. Mais c’est près de la mer que ce phénomène, concomitant à l’érosion, est le plus spectaculaire. L’étudiante précise que la ligne côtière peut reculer de 1,8 mètre par année dans la région de Tuktoyaktuk, et perdre jusqu’à 30 mètres annuellement dans certains secteurs de la mer de Beaufort.
« C’est spectaculaire de voir les falaises englouties par l’océan et le pergélisol fondre à vue d’œil », s’exclame Mme Flamand. Cette dernière s’intéresse aux conséquences de la fonte du pergélisol sur la chimie des eaux, laquelle peut générer des effets cascades sur les écosystèmes et les gaz émis dans l’atmosphère.
Lorsqu’il fond, le pergélisol libère de grandes quantités de matières organiques dissoutes. « Cette matière organique dissoute (MOD) a pour effet d’augmenter la turbidité de l’eau », explique l’étudiante. « Si les organismes photosynthétiques comme le plancton et les algues n’ont pas accès à la lumière, ils ne peuvent pas faire de photosynthèse. Cela signifie qu’il y aura moins de production d’oxygène et qu’on aura des zones plus pauvres en biodiversité ». Cette MOD peut aussi, en entrant dans des cycles géochimiques comme le cycle du carbone, libérer davantage de gaz à effet de serre dans l’atmosphère…
Lire la suite sur Le Devoir