Une expédition en Sibérie pour comprendre le cycle du carbone des tourbières gelées
Ainsi, de nouvelles questions émergent : quelles sont les réponses spécifiques de ces tourbières face au dégel du pergélisol ? Quels seront les impacts de ce dégel sur le cycle du carbone et donc sur le climat ? C’est sur ces questions que se penchent les scientifiques du projet ANR Arctic-PEAT. En mars prochain, six d’entre eux partiront pour une première expédition d’un mois en Sibérie afin de réaliser des mesures leur permettant d’affiner leur compréhension.
On fait le point avec Laure Gandois, coordinatrice scientifique du projet (laboratoire Ecologie fonctionnelle et Environnement, CNRS) et responsable de ce projet.
Tourbières et pergélisol
Les tourbières sont une sous-catégorie des zones humides, c’est-à-dire des zones dont le sol est, en permanence ou temporairement, inondé en eau. Ce sont des écosystèmes souvent singuliers qui abritent des espèces endémiques et sont colonisés, pour la plupart d’entre elles par une mousse appelée la sphaigne. Surtout, ils sont capables de stocker la matière organique qu’ils produisent car elle se décompose très lentement dans le sol tourbeux. C’est grâce à ce processus qu’elles sont ce qu’on appelle un puits de carbone. Avec 3 % des surfaces émergées du globe, elles stockent environ 30 % du carbone du sol. On voit donc que leur rôle est loin d’être négligeable. L’accumulation de carbone par les tourbières fait partie des processus qui ont contribué à réguler la concentration de CO2 atmosphérique au cours des 10.000 dernières années.
Le pergélisol, mot français pour permafrost, est un sol gelé depuis parfois plusieurs centaines de milliers, voire de millions d’années. Le pergélisol représente 50 % du stock mondial de carbone organique du sol. Bien que ne couvrant qu’une petite partie des terres émergées, ces écosystèmes ont donc une forte influence sur le climat mondial.
Les tourbières à pergélisol sont des écosystèmes importants dans l’étude de la dégradation du pergélisol, car elles stockent plus d’un tiers du carbone de celui-ci et présentent la densité de carbone la plus élevée des écosystèmes arctiques et subarctiques.
Tourbières et changement climatique dans les hautes latitudes
Les derniers rapports du GIEC ont confirmé que les zones arctique et subarctique allaient faire partie des zones de la planète ou le réchauffement serait le plus marqué. Avec le réchauffement, les tourbières des hautes latitudes vont évoluer très rapidement.
- Avec le réchauffement, on a des vagues de chaleur qui extirpent l’humidité des plantes et des sols. A la faveur d’un simple orage, la tourbe, très inflammable, peut alors prendre feu. La matière organique nourrissant ce feu, les incendies peuvent durer des mois, voire des années, consommant la matière organique accumulée pendant des millénaires … et sont parfois invisibles. C’est le phénomène des « feux zombies » qu’on a beaucoup médiatisé l’été 2021. Ces événements extrêmes non seulement représentent des risques majeurs pour la survie de ces zones humides mais ils ont aussi un impact sur le changement climatique en relâchant des quantités importantes de carbone accumulé depuis des siècles.
- Mais dans certaines régions, on observe que le dégel pourrait amener à la formation de nouvelles tourbières. Celles-ci perdent en effet beaucoup de carbone dans les premiers stades du dégel mais elles en ré-accumulent plus tardivement. Les tourbières sont composées de matière organique et donc à 95 % d’eau. Lorsqu’elles sont gelées elles prennent en volume et quand elles dégèlent ce volume diminue : c’est ce qu’on appelle un processus thermokarstique. Ce phénomène engendre des dépressions qui créent des petites mares d’eau, propices à la formation de nouvelles tourbières. Autrement dit, les tourbières se régénéreraient davantage suite au dégel, ce qui laisse penser que le réchauffement climatique pourrait être plus favorable aux tourbières dans ces zones. Mais jusqu’à quel point ?…
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