La "sécurité alimentaire" - comme son nom ne l’indique pas forcément - est définie par l’adéquation entre les aliments disponibles et les besoins des hommes [1].
Au Canada, pays multiethnique, les autochtones sont ultra minoritaires. Parmi eux, les Inuits, au nombre de 51 000 pour 34 millions d’habitants (soit 0,15 % de la population seulement !) [2], demeurent les Canadiens les plus pauvres en ce début du XXIe siècle. L’isolement géographique (ruralité, insularité), le chômage, la modification des pratiques de pêche (fonte de la banquise) représentent quelques-uns des facteurs d’insécurité.
Nous sommes à Iglulik, petite ville située sur une île du Nunavut, province arctique et inuite du vaste Canada. On y compte 1 538 habitants, très majoritairement Inuits [3]. Les auteurs géographes se sont immergés dans la communauté (été 2008-hiver 2009). Ils y ont étudié qualitativement les déterminants de l’insécurité alimentaire. Pour cela, des femmes inuites ont été rencontrées, questionnées et entendues [4] :
- 36 entretiens semi-dirigés (réponses - témoignages) ;
- 5 groupes de discussion ;
- 13 entretiens individuels en présence "d’informateurs-clés" .
La prévalence [5] de l’insécurité alimentaire est forte chez les femmes inuites d’Iglulik, mais transitoire. Elle dépend pour beaucoup des conditions météorologiques. Les femmes s’adaptent : partage de la nourriture avec les plus démunis, repas aléatoires. En effet, on constate :
- un auto-rationnement devant les hommes qui ont besoin d’énergie pour chasser ;
- la priorité des repas donnée aux enfants qui doivent croître.
Enfin, 85 % constatent une nette diminution de l’alimentation traditionnelle, en particulier du caribou, du phoque et du morse (la plate-forme de glace n’est plus là pour l’accueillir, ni le chasser...).
Le contexte est marqué par les stress externes [6]. On retrouve au fil des ans des changements insidieux : moyens de subsistance, relations sociales, météo...
Au total, des concepts entremêlés qui convergent tous vers l’insécurité alimentaire, et quelques témoignages :
- Inuite en vêtement traditionnel (amautiq, "parka" de femme, peau de caribou)
- Photo : Ansgar Walk
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- abordabilité (facilité d’accès), disponibilité (arrivages) et qualité (fraîcheur, ...) ;
"(...) Nous avons besoin de davantage de programmes" de promotion de la santé sur le thème d’une alimentation saine. ;
- budget du ménage limité et enfants :
"Quand ils s’habituent à ne pas manger le matin, ils n’ont pas faim." ;
- défaut de connaissances des aliments vendus en magasin :
"Le responsable [du programme de promotion nutritionnelle] est "trop fort" : il nous aide à bien cuisiner et à savoir acheter des trucs pour que nos repas deviennent plus copieux." ; - chasseur(s) régulier(s) dans le ménage et érosion de la tradition :
"(...) Les jeunes se sont tournés vers ce qu’ils ont envie de faire [...] la chasse a quasiment disparu." ;
- affaiblissement des réseaux de partage :
"[les chasseurs] sont désolés car ils ramènent peu de nourriture et la gardent pour nourrir leur propre famille." ;
- coût de la chasse :
"Le prix de l’essence a bondi (...) ce n’est pas rentable" ;
- pauvreté :
"(...) Le programme des petits déjeuners est important." ;
- jeu et toxicomanie :
"Les gens partagent moins [...] à cause de l’argent, des médicaments, de l’alcool et du jeu."
Une relative autosubsistance est aujourd’hui en péril. Les assistances extérieures s’additionnent : promotion de la santé, aide alimentaire. Les "transactions monétaires" pour se nourrir des "récoltes" sont inhabituelles dans une économie traditionnelle à base d’autoconsommation et de troc. Ces femmes se déclarent très anxieuses de partir en quête d’aliments.
Autant le morse, très prisé, ne peut plus s’installer sur sa banquise, autant l’économie de marché semble avoir du mal à s’implanter chez ces femmes éloignées de tout.
"(...) je suis mal à l’aise pour les acheter [les aliments de la nature]. Dieu a fait ces aliments pour nous, pas pour l’argent, mais pour nous tous."
Food insecurity among Inuit women exacerbated by socioeconomic stresses and climate change, poster des auteurs de cette étude, présenté lors du colloque "At the Forefront of Global Change, le 16-19 mars 2010 à Miami.