Arctique, fin mars 2011 : destruction sévère de l’ozone stratosphérique [1] entre 16 000 et 22 000 m d’altitude, excédant même 80 % entre 18 000 et 20 000 m. Nulle trace d’un pourcentage de cette ampleur dans les observations déjà existantes. Cette destruction a atteint pour la première fois une amplitude telle qu’elle a pu être qualifiée de trou d’ozone, comparable – selon les auteurs de l’article de Nature paru en octobre 2011 [2] – à ceux observés au printemps en Antarctique [3].
- Concentration d’ozone au-dessus de l’Arctique en mars 2010 et mars 2011
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Quelles ont pu être les conséquences en Europe de cette déplétion de la couche d’ozone polaire arctique ?
C’est la question que s’est posée une équipe de scientifiques européens, incluant des chercheurs du laboratoire français LATMOS [4]. Ils ont exploité les observations de trente-quatre stations appartenant au réseau mondial WOUDC [5] réparties entre 80° et 40° de latitude nord le long de méridiens européens, depuis le nord du cercle polaire arctique (archipel du Svalbard et côte orientale du Groenland) jusqu’au bassin méditerranéen (Sud du Portugal jusqu’en Grèce) en passant par la France, la Lituanie et la Moldavie. Les mesures au sol [6] du printemps 2011 ont été analysées pour calculer les variations du contenu total d’ozone de l’atmosphère [7] – ainsi que celles du rayonnement ultraviolet –, et les comparer avec les observations des années 2000 et 2005, années qui ont également connu des épisodes importants d’appauvrissement de la couche d’ozone en Arctique.
Les résultats indiquent à la fin du mois de mars 2011 une perte d’ozone stratosphérique de 40 % aux hautes latitudes du Grand Nord, à Ny-Ã…lesund (Nord-Ouest du Spitzberg). Des minima marqués sont également observés aux alentours de 70° N, en Finlande et à l’est du Groenland. Plus au sud, la déplétion de la couche d’ozone est moins importante. Toutefois, la diminution d’ozone atteint encore 25 % à la latitude de 60° N, pratiquement 20 % à hauteur du 52e parallèle, et de 15 à 18 % entre 40° et 50° de latitude nord.
- Lancement en juin 2001 depuis Gap, France, de l’instrument SAOZ destiné à la surveillance notamment de l’ozone
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En 2005, en revanche, si à la déplétion importante de fin février-début mars de la couche d’ozone polaire correspond un minimum de la colonne totale d’ozone au Groenland – plus important qu’à la station finlandaise –, l’effet est moins prononcé sur les sites les plus à l’est de la zone d’étude, et quasi inexistant au sud. En dépit de similitudes entre les épisodes de 2005 et 2011, le trou d’ozone arctique de 2011 a donc affecté le contenu en ozone stratosphérique d’un vaste périmètre, embrassant jusqu’aux moyennes latitudes du secteur étudié par les scientifiques.
A ces latitudes, l’appauvrissement de la couche d’ozone est survenu vers la mi-avril, c’est-à -dire avec un retard de plusieurs jours par rapport aux hautes latitudes arctiques. Ceci étaye l’hypothèse d’une propagation du trou d’ozone des hautes vers les basses latitudes. En outre, plus ces épisodes se produisent vers des latitudes basses, plus ils durent longtemps. En 2011, l’appauvrissement en ozone a démarré au cours des derniers jours du mois de mars et subsisté jusqu’à la fin du mois d’avril, bien plus tard qu’en 2000 et 2005 où les phénomènes de perte d’ozone avaient débuté dès début février pour disparaître à la mi-mars.
Cette évolution différente s’expliquerait par le comportement particulier cette année-là du tourbillon polaire arctique, principal facteur contrôlant la destruction d’ozone aux hautes latitudes (voir encadré). Si lors des trois années concernées se sont développés des vortex circumpolaires extrêmement froids – autre condition nécessaire du mécanisme de destruction de l’ozone –, le tourbillon de 2011 est quant à lui anormalement stable, entravant les échanges avec les masses d’air environnantes et donc la déplétion d’ozone. A la fin du mois de mars, le tourbillon change de forme et le secteur au coeur de l’étude est alors affecté par des masses d’air issues du vortex. Dans la phase finale, le vortex s’éloigne du pôle en direction de la région euro-asiatique, et ce jusqu’à la fin avril. Pendant cette période, la région concernée est alors soumise à des masses d’air en provenance des bords du vortex, ce qui explique l’appauvrissement observé de la couche d’ozone.
Quel impact ce trou d’ozone a-t-il eu sur les indices UV au printemps 2011 en Europe ?
En raison de sa propriété de très forte absorption du rayonnement solaire ultraviolet, l’ozone stratosphérique joue un rôle de bouclier vis-à -vis des UV – principalement les UV-B et UV-C qui altèrent l’ADN cellulaire –, limitant ainsi l’exposition de tous les organismes vivants à ces rayons nocifs. L’augmentation de la quantité de rayonnement UV-B atteignant la surface de la Terre accroît donc le risque de dommages pour toutes les formes de vie. [8]
En 2011, l’épisode record de déplétion de la couche d’ozone s’est propagé au-dessus de l’Europe au début du printemps, période de l’année où, dans l’hémisphère boréal, l’élévation du soleil dans le ciel croît rapidement.
- Lunettes de soleil inuites
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La quantité de rayonnement UV-B parvenant au sol en a été multipliée. Les scientifiques notent que sur les sites du Haut-Arctique, pour lesquels la diminution d’ozone atteignait 40 %, la dose érythémale minimale [9], qui quantifie le risque de coup de soleil chez un individu, a été augmentée d’environ 85 %. Aux moyennes latitudes, en revanche, où la destruction de l’ozone avoisinait les 15 à 18 %, la hausse de la dose érythémateuse minimum n’a été que de 21 à 27 %. Ces pourcentages montrent qu’aux pôles les biosystèmes sont soumis à un stress UV quatre fois plus important que ceux des latitudes moyennes. Mais la hauteur du soleil au début du printemps étant beaucoup plus basse aux latitudes polaires qu’aux moyennes latitudes, les doses érythémateuses minimales sont par conséquent en valeur absolue pratiquement identiques – voire inférieures – dans les zones polaires et subpolaires par rapport à celles estimées en Europe. Au-delà de 60° N, l’augmentation de la dose érythémale minimale n’a ainsi été que de 1,5 à 2,5 SED, contre 2,5 à 4,3 SED aux latitudes plus basses.
La déplétion d’ozone en Arctique au printemps 2011 a donc induit une hausse significative de la dose érythémale minimale en Europe, à une saison où le climat, notamment dans le Sud de l’Europe, est habituellement favorable aux activités d’extérieur, aggravant de ce fait les risques biologiques pour les populations exposées [10].
Que nous réserve le XXIe siècle ?
Grâce au protocole de Montréal [11], les substances destructrices de l’ozone – tels que certains composés halogénés, comme les chlorofluorocarbones (CFC) ou les halons – sont réglementées et leur production devrait à terme être définitivement stoppée. Les modèles chimie-climat prévoient vers 2050 un retour des concentrations de ces substances dans la stratosphère aux niveaux antérieurs aux années 1980 (c’est-à -dire avant les premiers trous d’ozone en Antarctique). Ainsi, à partir de la seconde moitié du XXIe siècle pourrait-on s’attendre à la disparition des trous d’ozone aux pôles.
Mais ces substances destructrices de l’ozone ne sont pas les seuls facteurs impliqués dans la déplétion de la couche d’ozone. Les gaz à effet de serre, responsables du réchauffement de la troposphère, sont également à considérer compte tenu de leur action de refroidissement radiatif de la stratosphère. Le refroidissement stratosphérique est en effet une condition favorable à la formation de nuages stratosphériques polaires, impliqués dans la destruction photochimique de l’ozone dès le retour du printemps.
- Nuages nacrés (ou stratosphériques polaires) à Kiruna (Suède)
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Une équipe de chercheurs allemands a entrepris de simuler, pour les prochaines décennies, l’effet conjugué sur la couche d’ozone polaire boréale des concentrations anthropiques de gaz à effet de serre et de substances destructrices de l’ozone, afin de mieux comprendre le rôle de chacun de ces facteurs [12] et de pouvoir répondre à la question suivante : ces variations de concentrations, notamment celles des gaz à effet de serre, entraînent-elles des changements dans les conditions météorologiques, propices à une plus grande fréquence des épisodes extrêmes d’appauvrissement de la couche d’ozone en Arctique ? Pour les scientifiques, les conséquences les plus importantes du changement climatique sur l’ozone de l’Arctique devraient se produire pendant la première moitié de ce siècle, lorsque les concentrations des composés halogénés seront en baisse mais encore suffisamment abondantes pour détruire l’ozone, tandis que les gaz à effet de serre seront en hausse.
Les projections du modèle [13] pour les deux à trois décennies à venir indiquent certes, avec une forte probabilité, la survenue certaines années d’autres épisodes de minima extrêmes d’ozone au printemps, mais aucune tendance ne se dégage quant à une fréquence accrue de trous d’ozone en Arctique comparables à ceux de l’Antarctique, comme en 2011. En outre, pour la seconde moitié du XXIe siècle, (lorsque les substances destructrices d’ozone seront fortement réduites), les simulations révèlent au contraire une augmentation de l’abondance d’ozone stratosphérique au-dessus du niveau de référence des années 1970-1982, si bien que de tels épisodes extrêmes semblent encore moins vraisemblables. Une bonne nouvelle pour les populations d’Europe et d’ailleurs à attribuer, une fois n’est pas coutume, aux gaz à effet de serre…
L’appellation « trou d’ozone » est impropre. Il s’agit en réalité d’une diminution de la quantité de ce gaz dans la stratosphère, autrement dit d’un amincissement de la couche d’ozone. La quantité d’ozone dans la stratosphère est liée à deux processus chimiques concurrents :
Si ces deux processus sont antagonistes, ils forment cependant un équilibre, la destruction d’ozone au printemps aux pôles étant compensée par la production d’ozone sous les tropiques. La production par les activités humaines et l’émission dans l’atmosphère de composés halogénés (CFC) a rompu cet équilibre. L’augmentation de la concentration de ce type de composés, présents naturellement dans la stratosphère, a amplifié les réactions de destruction de l’ozone et conduit à des appauvrissements de la couche d’ozone dans les années 1980 dont l’ampleur a justifié la création du terme de « trous d’ozone ». Observés pour la première fois en 1985 au-dessus de l’Antarctique, ces trous ont atteint la superficie record de 27 millions de km2 en 2000. Car c’est bien dans les régions polaires que la destruction de l’ozone est la plus importante du fait des conditions météorologiques spécifiques qui y règnent en hiver et au début du printemps. A l’arrivée de l’hiver, se forme en effet autour des pôles un vortex polaire, tourbillon dépressionnaire de vents qui isole la stratosphère polaire. L’isolement de la masse d’air confinée dans ce vortex, combiné à l’absence de lumière solaire pendant la nuit polaire, font chuter la température stratosphérique. Lorsque celle-ci avoisine les -80 °C, des nuages stratosphériques polaires apparaissent, en dépit de la très faible hygrométrie de l’air polaire, surtout dans l’hémisphère austral. Or, ces nuages, composés de cristaux de glace, d’acide sulfurique et d’acide nitrique, sont propices au printemps, avec le retour de la lumière solaire, à la libération d’atomes de chlore et de brome actifs par réaction photochimique à la surface des particules des nuages, libérations favorisées par les composés artificiels halogénés. Chlore et brome actifs réagissent ensuite avec l’ozone, entraînant sa destruction. L’isolement à cette saison de la masse d’air ainsi appauvri empêche tout remplacement par de l’ozone en provenance de latitudes plus basses. A la fin du printemps, avec le réchauffement de l’atmosphère, le vortex se dissipe et les températures remontent suffisamment pour bloquer toute nouvelle formation de nuages stratosphériques polaires. Chlore et brome demeurent alors sous des formes non actives et le processus de destruction de l’ozone s’arrête. En Antarctique, ces processus engendrent la formation d’un énorme trou d’ozone chaque printemps. En Arctique, en revanche, la circulation atmosphérique de l’hémisphère Nord, variable, rend le vortex polaire boréal moins stable. Ceci permet des incursions d’air en provenance du sud qui maintiennent souvent la stratosphère arctique à une température trop élevée pour que se forment des nuages stratosphériques polaires. Toutefois, lorsqu’ils se forment, leurs effets sont similaires à ceux qu’on observe en Antarctique, même si les déplétions d’ozone y étaient jusqu’à présent moins marquées, l’Arctique présentant une plus forte concentration d’ozone à la fin de l’hiver et au printemps. |